Il y a une certaine ironie, fortuite ou non, dans le fait que les propriétaires de ce restaurant aient ouvert La Bête humaine avenue Van Horne, nom du président de CP Rail, William Cornelius de son prénom, en 1888. Et qu’ils aient baptisé leur établissement du titre du roman de Zola publié en 1890 et qui tourne autour du monde du chemin de fer. Ironie, hasard ou pétillant trait d’intelligence.
Dans cette Bête humaine-ci, tout roule sur des rails bien posés. Et les traverses sont solides et taillées dans le meilleur bois. Un très beau décor, décapant, astucieux et plein de détails amusants et bien pensés. Trois salles au mobilier confortable, un bar accueillant et tout le long du voyage, un fond musical qui fait que l’on se sent en première classe.
Et la cuisine est à la hauteur des attentes élevées que l’on a en prenant place à table. Comme on parle viandes et portions généreuses, je suis venu ici un vendredi soir accompagné de mon frère, 250 livres, et de mon neveu, 280 livres. Pas une once de gras, du muscle, de l’homme, du vrai. De l’appétit à en faire peur. Je me sentais aussi plus en confiance, pour tout vous dire, l’un des propriétaires de la place ayant crié sur les toits à une époque où j’avais étrillé un autre de ses établissements qu’il allait m’arracher la tête. Tant qu’à brasser, j’aime autant brasser bien équipé.
Par bonheur, la cuisine de cette petite maison m’a plutôt arraché des soupirs de contentement, de surprise et de vrais plaisirs. Une belle cuisine élégante, tant dans la conception des plats que dans leur réalisation et dans leur présentation. Produits de la mer ou de la terre, tout est accompli. Beaucoup de doigté, une belle maîtrise technique et un sens ajusté des dosages.
Le menu se présente en deux volets: à gauche, l’ardoise de la semaine permet de composer un menu classique, entrées et plats principaux; à droite, les pierrades, ces plats conviviaux où le client fait cuire viande, volaille ou poisson sur une pierre longuement chauffée. Des sauces alcoolisées ou sans alcool pour accompagner les lamelles ainsi grillées, selon ses goûts et ses envies de découverte.
Les deux armoires frémissent de joie comme seules les bonnes armoires savent le faire. Soupe de poisson et aïoli suivie de rôti de pétoncles sauce poivre vert et lardon pour le meuble de gauche; festin pierrades quatuor (canard, sanglier, bison et cerf) pour celui de droite. Les portions sont belles, généreuses sans être excessives.
En marmite du jour, un beau velouté de courge musquée et carotte, souligné d’un subtil trait de curry et d’un dé de crème sure. Beaucoup de tenue et du goût à revendre.
Bavette de cerf, cuite exactement comme demandé, tendre, juteuse, parfumée. Le chef la sert avec une amusante interprétation du gratin dauphinois, dans laquelle il introduit de fines lamelles de céleri-rave. Bien trouvé. Et la sauce framboisée qui accompagnait le plat était tout aussi judicieuse. La maison semble d’ailleurs attacher une attention particulière aux sauces, très présentes et très percutantes.
Pour finir, de petits desserts dont la qualité s’harmonise parfaitement au reste du repas: soyeuse marquise au chocolat, très chocolatée et marquise comme dans vos fantasmes les plus fous, impeccable trio de crèmes brûlées (vanille, café, pistache) et poire caramélisée, tout aussi irréprochable.
François Bonaventure, le sommelier-copropriétaire, précise qu’il travaille encore à l’amélioration de sa carte des vins, déjà fort honnête et proposant de belles trouvailles. Comme il a su, pour le reste, s’associer à des gens de talent – en cuisine, avec le chef Simon Laplante qui effectue un travail remarquable et, en décoration, avec François-Olivier Tissot qui a réussi ici de très belles choses -, on ne doute pas que son établissement prenne encore plus de poil de la bête. Humaine, ça va sans dire.
Un dernier bon mot peut-être sur le service qui, ici, est assuré avec beaucoup de bon jugement et juste ce qu’il faut de retenue et d’aplomb pour que les clients se sentent parfaitement bien. Et sur le fond musical qui ajoute aussi au plaisir d’être ici. De belles soirées en perspective sur l’avenue Van Horne.
La Bête humaine
1637, avenue Van Horne
514 278-0001
Ouvert en soirée du mardi au samedi. Si vous êtes sages, comptez une soixantaine de dollars pour deux, avant boissons, taxes et service. Veut-on vraiment être sages? Non. Bon, alors prenez une entrée et un dessert et doublez. Vous serez sages après. En prenant un taxi, par exemple.