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Les deux singes de Montarvie : Restaurateur descendu du singe

Recette simple pour réussir en restauration. Ingrédients de base: beaucoup de travail, du talent et un peu de chance. Ensuite, dans un grand bol, prendre un chef passionné (et normand d’origine dans ce cas-ci); ajouter un chef exécutif-propriétaire-bricoleur-artiste-designer-jongleur-polyvalent; une brigade de bonne humeur, du personnel de salle souriant, efficace et prévenant. Dans un autre bol, placer des produits de très bonne qualité, frais et apprêtés avec soin. Mettre le tout dans un décor "différent"; bien mélanger. Laisser reposer quelque temps afin que les petits détails soient réglés à la perfection et regarder l’endroit se remplir.

Nul doute que ce nouveau petit resto de la rue Saint-Viateur va se remplir rapidement de clients très heureux. L’endroit est beau, chaleureux, juste assez bizarrement décoré pour que l’on soit intrigué; juste assez joliment arrangé pour que cet étonnement soit un état plaisant. Vivait ici avant une nonna qui faisait de belles pastas; son souvenir donne à la pièce un petit air familial très doux.

Dans le fond du local, la cuisine à aire ouverte avec son énergie et ses couleurs. C’est très bien, ces cuisines à aire ouverte quand on est critique de restaurant. Ça permet de voir les vraies choses, pas juste celles qu’on veut montrer. Ici, cette observation est rassurante. Un comptoir en forme de L pour accueillir quelques clients. Et à l’avant, quelques tables en longues plaques d’ardoise, des lampes élégantes venues de chez Lampi Lampa et, aux murs, de belles boîtes lumineuses, montages de photos, radiographies et calligraphies (signés Chris Mattia) de ces singes qui ont donné leur nom à la maison. Montarvie est un demi-hameau dans le fin fond de la France. Pour plus de détails, demandez au patron, il raconte mieux que moi.

Carte du midi courte et claire. Carte du soir plus longue et tout aussi articulée. Le menu bistro du midi permet un ravitaillement de qualité pour une poignée de piécettes: potage ou verdure et plat principal. Le soir, comme partout, si vous laissez le vigneron en vous prendre le contrôle, redoutez le pire côté addition, la carte des vins étant plutôt sexy.

À midi, de petites choses divertissantes et nourrissantes comme ce panier vapeur, poisson du marché, riz basmati et petits légumes. Beurre blanc léger, et parfums de thym et de laurier. Un moment de légèreté. Une gamelle de Parmentier au jarret de veau berbère: dans une jolie gamelle métallique, purée de pommes de terre, légère et court vêtue, une pincée d’oignons caramélisés, jarret d’agneau émincé, braisé et relevé de garam masala. Ça fait très berbère post-moderne et l’on essuie bien sa gamelle avec un bout de pain, preuve ultime de la qualité d’un plat.

Parmi les cinq millefeuilles proposés, Le Bouc semblait le plus intéressant: lentilles du Puy, lait de coco, curry maison et chèvre cru. Le tout est artistiquement couronné d’une fine galette de millefeuille et laisse planer d’émouvants effluves de curry et de coco. Accord parfait, puissance et souplesse. On sent le singe espiègle et appliqué derrière l’assiette.

Les plats principaux sont accompagnés d’une petite salade composée d’un micro-mesclun produit chez Daniel, un des fournisseurs chéris des meilleures tables en ville, et habillée d’une vinaigrette relevée d’une pointe d’estragon et d’un souvenir de miel. Ici encore, apaisante légèreté.

Trois petits desserts au diapason du reste du repas: Tatin caramélisée, pâte feuilletée pur beurre et crème glacée à la vanille; solide fondant au chocolat, accompagné d’un très jouissif caramel de tomate et vanille; et petit pot de crème généreusement vanillée et que l’on a dynamisée avec un surprenant – dans le sens très positif du terme – chutney aux kumquats et au romarin. Le chef, Romuald Lecossois de son nom, prétend qu’il n’est pas doué pour les desserts; franchement, j’aimerais beaucoup ne pas être doué comme ça.

Règne dans cette maison une belle ambiance. Celle des endroits tenus par des gens talentueux et passionnés. L’hyperactif patron, Merlin Lambert, a déjà fait le voyage Paris-Delhi-Paris en vélo. Vous dire s’il est fou. Cette belle folie se sent ici dans ce qu’elle a de plus généreux. Profitons-en, ce n’est pas tous les jours que ça arrive.

Les deux singes de Montarvie
176, rue Saint-Viateur Ouest
514 278-6854

Ouvert midi et soir, sept jours sur sept. Petits-déjeuners à venir, selon les stakhanovistes locaux. À midi, comptez une trentaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et pourboire. Le soir, faites ce que vous voulez; midi ou soir, c’est de l’argent bien investi.