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Vertige : Vertigineuse rue Duluth

Sur le plan de la gastronomie, la rue Duluth est beaucoup de choses: elle est très populaire, grecque de masse, souvent très au ras des pâquerettes. Dans ses bons moments, elle est aussi splendidement chocolatée à La Colombe ou magistralement poutinée au foie gras au Pied de cochon. Entre ces deux bons moments vient de s’installer Thierry Baron, chef bien connu des gourmands montréalais puisqu’au cours des dernières années, on l’a vu travailler au Jongleux Café, chez Chorus et avec Carlos Ferreira.

Son nouveau restaurant, Vertige, embellit encore cette section de Duluth, près de l’intersection de la rue Saint-Hubert. Trois pas de portes, trois excellentes adresses. Qui a dit qu’on s’ennuyait l’hiver en ville?

Vertige propose ce que monsieur Baron fait de mieux. C’est son premier restaurant, c’est ici qu’il décide ce qu’il fait et comment il le fait. Ce qu’il fait de mieux, c’est une cuisine très soignée, méticuleuse au point d’être véritablement vertigineuse dans certains plats. Comme ce n’est pas tous les jours qu’on éprouve le vertige à table, on ne s’en plaindra pas. Décor et service sont ici ce qu’ils devraient toujours être: un soutien discret à la cuisine. La carte des vins méritera d’être peaufinée et le choix de vins au verre est une faille un peu inexplicable.

Côté assiettes, on offre une carte et deux menus dégustation, cinq ou six services. La carte propose une demi-douzaine d’entrées, trois tentations autour du thème du foie gras, sept ou huit plats principaux, quatre déclinaisons de fromages et cinq desserts que l’on voudrait tous prendre tant les intitulés sont invitants.

La plupart des plats démontrent le talent remarquable des gens en cuisine, le chef bien entendu, mais aussi les autres joyeux lurons participant à l’élaboration des assiettes. Élaboration pointilleuse et infiniment artistique comme dans ce carpaccio de boeuf saisi aux saveurs d’Asie: de fines lamelles de viande crue, relevées d’une interprétation très à-propos de la sauce ponzu (ici sauce soya, lime, oignons), quelques fils de carottes, de radis chinois et de concombres et une glace au concombre parfaite dans la dynamique de cette assiette.

Surprise également magnifique dans ce tartare d’huîtres Beausoleil au caviar de mulet. Ne dites pas: "J’haïs ça, les huîtres!" Rendu là, ça ne s’appelle plus de l’huître, c’est la mer tout entière, la vague qui ramène vers la plage, le rouleau dans lequel les surfers glissent magistralement. Tout l’océan. Et d’une finesse déconcertante dans sa touche de vodka et ses notes de lime qui ajoutent à la gaieté du plat.

Grande maîtrise technique donc, un sens très pointu des textures, des goûts et des odeurs. Cette cuisine a quelque chose de terrien – dans le sens "odeur de la terre". Peut-être appelle-t-on ça de l’authenticité. Et en même temps, elle fait preuve d’une grande discrétion, d’une légèreté presque émouvante.

Tous ces bonheurs se retrouvent par exemple dans le ris de veau croustillant façon Rossini. Authenticité dans ce pain brioché qui sert de base au plat, dans les généreux morceaux de portabella et dans les feuilles d’épinards qui soutiennent le ris impeccablement croustillant ou encore dans la fine tranche de foie gras poêlé et d’un goût qui m’a rappelé les meilleurs foies gras dégustés à Sarlat, à Cahors ou à Auch, villes où l’on ne rigole pas avec la chose. Discrétion dans la présence à peine sentie et pourtant nécessaire de la truffe dans le jus de viande au Madère. Du grand art. Véritablement vertigineux.

Les intitulés des desserts ne correspondent pas à ce qui est dans les assiettes (Tatin? Mi-cuit?), mais c’est accessoire tant le résultat est décadent. Tarte Tatin d’ananas confit au miel épicé de cardamome, cannelle, muscade, clou de girofle et poivre ou tourte au chocolat mi-cuite, présentée dans un ramequin et qui n’est pas sans rappeler celle dont nous honora pendant son bref passage sur terre Nicolas Jongleux. Irrésistible.

On roule hors du restaurant. Béats. Pris de vertiges multiples. Les gourmets et gourmettes (ça, c’est pour l’insignifiant perpétuel) viendront planer ici très vite et très souvent, c’est certain. On leur souhaite seulement que la prochaine fois, les décorations de Noël auront disparu. Le décor y gagnera.

Vertige
540, rue Duluth Est
514 842-4443

Ouvert en soirée du mardi au samedi. Puisque tout a un prix, y compris les vertiges, préparez un de ces jolis billets bruns que vous gardiez pour les grandes occasions. Une soirée ici est effectivement une grande occasion.