Grosse tirelire aime le charme suranné des carrés Hermès, les pulls en cachemire et les sièges moelleux en cuir des grosses berlines allemandes. Petit cochon est plus "confort-avant-tout", Cowboys fringants et défi vélo 365 jours par an dans les rues de Montréal. Côté gastronomie, la première estime que la glace à l’azote de Ferran Adrià est le nec plus ultra; pour le second, le bonheur réside davantage dans une belle soupe au chou, une terrine et un verre de rouge entre amis. Ils s’aiment aussi, forts sans doute de leurs extravagantes différences. Et aiment partager leurs trouvailles. Jeudi dernier, nous vous présentions la première. Voici la seconde.
La semaine passée, monsieur Cochonou nous avait entraînés dans un estaminet petit budget. Deuxième sortie aujourd’hui sous la houlette distinguée de madame Grosse tirelire, sa dulcinée.
Un samedi midi. Le soleil continue de briller avec entrain. Le Café Holt se trouve dans le chicissime magasin du même nom. Ou presque, Renfrew n’étant utilisé que par les béotiens. Les jeunes – ou moins jeunes – habitué(e)s du magasin parlent de Holt, c’est terriblement tendance.
Dans ce café, tout est très beau, très bon et très bien fait. La maison fait venir de Paris en exclusivité le pain de la maison Poilâne. La famille Poilâne boulange à Paris depuis 1932 rue du Cherche-Midi et a réussi à conserver une qualité de production remarquable dans un pays où le pain n’est généralement plus qu’un souvenir folklorique. Grosse tirelire explique le principe: "On sert ici des tartines. Mais quelles tartines! Et quelques salades. Et aussi quelques desserts, tout aussi érotiques."
Entendons-nous sur le terme de tartine. La BLT au homard ou la boeuf grillé, par exemple, sont à des années-lumière de ce que des gens ordinaires, comme vous et moi – surtout moi d’ailleurs qui suis très ordinaire -, appellent une tartine. D’abord, il y a ce pain parfait, une croûte qui redéfinit l’art de la croûte et une mie si tendre et aux bulles si fines que l’on a instantanément envie de se blottir dedans comme dans un cocon confortable. Ce pain, à peine grillé, ramène à la surface des souvenirs de goûters pleins d’odeurs de craie, de cour de récréation et de ces fines couches de beurre et de tranches de bananes saupoudrées de chocolat en poudre qui rassasiaient nos appétits d’ogres en culottes courtes. Ensuite, il y a tous ces éléments que l’on sait sortis de chez les meilleurs fournisseurs. Boeuf grillé avec fromage de chèvre, champignons sauvages, thym frais et réduction de jus de cerises donnent un résultat époustouflant. Et, croyez-moi, ça fait longtemps que je n’ai pas été époustouflé. Surtout par des tartines.
Dans les assiettes immaculées, les salades paradent fièrement. Saumon de l’Atlantique au pesto de basilic, haricots verts, avocats, tomates et fromage feta ou patates douces et couscous, citron, boeuf grillé, miel et champignons sauvages. Ici aussi, la générosité est érigée en vertu de base. Le fait que l’on doive commander un "extra pain simple", facturé en sus, peut laisser croire que la vertu est parfois pénible à supporter pour certains.
Jus frais (le très dynamisant pomme, betterave et gingembre, notamment) ou desserts sont tout aussi impeccables. Strudel aux pommes et sa crème glacée à la gousse de vanille ou tartelette aux pêches et chocolat noir sont des modèles de soin et des sources de contentement. Ici, franchement, le ramage est à la hauteur du plumage. Service distingué, ça va sans dire.
Évidemment, tout cela finit par coûter une petite fortune, mais au moins, en entrant ici, on sait exactement à quoi s’en tenir sur ce plan-là. Et, contrairement à ce que l’on voudrait nous laisser croire ailleurs, en cuisine, la qualité est souvent un obstacle aux bas prix.
Café Holt
1300, rue Sherbrooke Ouest
514 842-5111
Ouvert pour le déjeuner, du mardi au samedi. Comptez – j’ose à peine le mot ici, tant cela me paraît petit esprit d’ainsi mettre un prix sur des choses si hors de ce monde, mais enfin, puisqu’il le faut -, comptez donc une soixantaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et pourboire. Beaucoup plus même, si vous succombez à la tentation, ce qui serait tout à fait compréhensible et excusable ici, tant elles sont nombreuses et irrésistibles.