Je sors à peine de table et je n’en reviens pas. Il faut que je vous le dise tout de suite: 22 dollars à deux, entrées, plats principaux et desserts. Pas des hot-dogs ou des trucs approximatifs; pas dans un boui-boui anonyme chaises branlantes et dessus de table graisseux; pas servis au lance-pierre par du personnel je-m’en-foutiste. Non, deux vrais repas, pris dans un vrai restaurant et servis par du vrai personnel souriant et réveillé.
La chose s’appelle Le Répertoire. Ou devrait s’appeler ainsi, le mot Bistro devant étant trompeur, ce n’est pas un bistro, c’est mieux. Un petit resto de quartier simple, bien tenu, éminemment sympathique. Le quotidien de tout le personnel de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont voisin va s’en trouver changé à jamais. Des boîtes à lunch seront hypocritement oubliées à la maison; des secrétaires seront soudain généreusement invitées par leur patron; d’éminents professeurs disparaîtront mystérieusement du bureau tous les midis. Déjà, le jour de notre passage, le gros Michel identifiait quatre neurologues, trois gynécologues, deux psychiatres et une souris verte qu’il avait consultés au cours des derniers mois pour plusieurs trucs dont il préfère que je ne vous entretienne pas.
En tout cas, 22 dollars pour ce repas du midi, ça s’appelle une fort bonne affaire. Ce petit velouté de chou-fleur, par exemple, valait à lui seul au moins la moitié de la somme. Jolie texture soyeuse, très parfumée et à peine relevée d’une noisette de beurre; quenelle de fromage de chèvre,
"Bouc émissaire" en l’occurrence, qui venait donner au plat un élan presque olympique. L’autre moitié de la somme aurait pu être versée pour cette salade: betteraves rouges et céleri en longues lamelles, demi-lunes de concombres, délicatement épépinés, quelques touches de moutarde à l’ancienne et, çà et là, une note d’huile d’olive de très bonne qualité pour que cette entrée soit une invitation au voyage en Méditerranée.
À partir de là, tout est en prime: le vivaneau poêlé, chair fraîche et croustillante du passage en cuisine, couché sur un lit de risotto au parmesan et accompagné de fenouil confit ou les pâtes, ce midi-là des pennes, al dente comme il se doit, accompagnés de petits légumes sautés, émulsion tomatée et chiffonnade de thon. À notre table, le représentant de la maison nous faisant le boniment sur les pennes. À la table voisine, trois clients amateurs de pâtes: "Vous les avez trouvées comment, vous, ses pâtes? Lui, c’est sûr qu’il les trouve magnifiques, c’est lui qui les prépare, mais vous?" – "Excellentes, monsieur, excellentes." Elles l’étaient vraiment et auraient valu, à elles seules, le prix de notre repas.
Gratuites aussi la tarte au citron, fond de pâte sucrée très délicate et présence du citron mais sans les fanfares habituelles qui font grincer les dents; ou cette mignonne salade de fruits frais présentée dans un petit bol invitant et qui a de la chance de ne pas être dévoré une fois le client sur sa lancée enthousiaste.
On sent dans cette minuscule maison la présence de quelqu’un en cuisine. Je veux dire: quelqu’un qui sait ce qu’il faut faire pour que ce soit très bon. Il s’appelle Christophe Geffray. Le quartier Rosemont lui érigera un jour une statue: "À Christophe Geffray, la population de Rosemont reconnaissante". D’ici là, les réservations pour manger chez lui sont fortement recommandées.
Bistro Le Répertoire
5076, rue Bellechasse
514 251-2002
Ouvert pour le déjeuner, du lundi au vendredi, et le soir, du mardi au samedi. À midi donc, une dizaine de dollars par personne. Le soir, si vous voulez vraiment prendre ce qu’il y a de plus cher, cinq services vous coûteront 37 dollars avant boissons, taxes et pourboire. Si vous êtes raisonnable, ou économe, trois services pour moins de 20 dollars.