Dans son hall d’entrée, le Théâtre Outremont a abrité une série impressionnante de bouis-bouis et de pseudo-cafétérias. Depuis les années 1920, la liste est longue. À sa réouverture au début du XXIe siècle, on espérait une table. Ça a pris six ans, mais c’est enfin arrivé. Ça s’appelle La tartine. C’est tout simplement délicieux.
Entendons-nous: on ne parle pas ici d’étape gastronomique pour amateurs de cristal et d’argenterie astiquée, mais plutôt d’une table accueillante pour aficionados de cuisine délicate et soignée. Si la chose s’appelle La tartine (on appréciera le "t" minuscule, reflet probable de la modestie de la maison), c’est que l’on y sert effectivement des tartines, salées ou sucrées, mais aussi des grilles fromage, quelques salades et quelques soupes. Vous dire que tout est bon serait très au-dessous de ce que je pense; que c’est très bon s’en rapprocherait davantage.
Ces trois soupes, par exemple, sont ravissantes: La Panais, La Lentille et La Poule. Servies dans une jolie bolinette et préparées avec discernement avec les meilleurs produits disponibles sur le marché, elles redonnent espoir en l’évolution de la race humaine et annoncent de bien belles choses à venir sous la fourchette. Crème de panais, huile de cari de Madras, brunoise de pommes et sel de mer, moment de découverte et de bonheur; lentilles vertes du Puy, pommes de terre rattes, légumes verts et accompagnement de crème sûre au paprika fumé. De l’autre côté de la table, on sent l’émotion s’installer.
Impeccable salade de copeaux de fenouil, voilée d’huile de piment; quelques tomates confites et une macédoine de poire japonaise. Une sorte de sautillement printanier, verdeur de petits prés moelleux bordés par des murets de vieilles pierres moussues; fraîcheur du sous-bois et passage silencieux d’une biche comme dans un rêve.
Je vous épargnerai ici la description laborieuse, et sans doute ennuyante pour vous, de chaque tartine et grille fromage scrupuleusement disséqué, goûté et évalué. Tout passe le test avec brio. Les produits sont des modèles de fraîcheur et de la meilleure qualité. Les conceptions sont intrigantes et réussies à la quasi-perfection et l’on sort de table avec le sentiment rassurant que l’on vient de trouver une nouvelle petite adresse où l’on pourra venir épater ses ami(e)s, sans pour autant pulvériser sa tirelire.
Je veux tout de même vous mentionner un ou deux plats pour vous mettre en appétit. Comme ça, vous saurez où aller manger à midi. Ou ce soir, ou demain, ou très prochainement. Tartines salées et grilles fromage portent les noms des rues du quartier, un clin d’oeil léger et amusant, comme beaucoup de choses ici. Tartines salées donc: Wiseman – thon Saku cru, avocat haché au couteau, yuzu, verdure et mayonnaise au piment d’Espelette – et Stuart – volaille de grain grillée, yogourt aux tomates confites à la sarriette et au fromage Manchego. Ou grilles fromage: Bernard – chorizo XXX grillé, oignon sucré caramélisé, moutarde à la bière, chèvre noir vieilli – ou Saint-Viateur – légumes grillées au thym frais et marinés à l’huile d’olive au citron, fromage en grains. Dans chaque plat, on apprécie l’harmonie des mélanges et des combinaisons. Ces petites choses sont délicatement posées sur de jolies assiettes décorées d’un filet d’émulsion très légèrement citronnée et accompagnées d’une julienne très fine (radis vulgarus et daïkon, version exotique du radis vulgarus) présentée en jolie botte.
Évidemment, quand on a pour fournisseur et mentor une fine toque comme Ian Perreault du très étoilé Area, on est sur une bonne piste. Madame Tartine, aka Alexandra Castonguay, et son chef, Frédéric Marinelli, y sont. Tous deux accomplissent leur travail avec beaucoup d’application. En salle, on sent autour de la longue table où s’installent les convives une ambiance détendue et des sourires communicatifs. Et pour une fois, les dépenses occasionnées par les travaux de rénovation et de décor (très réussi dans son minimalisme éclairé et éclairant) n’ont pas entamé la bonne humeur contagieuse qui rend le client heureux. Vous remercierez votre gérant de banque de notre part.
On procèdera sans doute à quelques ajustements au cours des semaines à venir. Par exemple, le pralin au sésame n’apporte rien de particulièrement érotisant à cette salade de fenouil par ailleurs très sexy et le chorizo gagne à conserver une certaine souplesse au lieu d’être asséché par une cuisson intempestive. On vient d’ouvrir, on a donc droit à une certaine considération. D’autant plus que l’ensemble de la prestation vaut déjà à cette tartine de figurer dans ma liste personnelle très restreinte de bonnes découvertes de 2006. Sur quelque 170 établissements visités à ce jour, c’est quand même très élogieux.
La tartine
1248, avenue Bernard, Outremont
514 278-3637
Ouvert tous les jours de 11h à 23h. Les soupes sont affichées à 6 et 7 $, la tartine la plus "chère" (La Wiseman) coûte 11 $ et les desserts vont de 5 à 7 $. À ces prix-là, tartinons gaiement!