De retour de Paris, tout frais sorti de l’avion, je trouve au bureau ce communiqué de presse annonçant le 50e anniversaire du restaurant Le Paris. Intrigant, cet anniversaire de papi puisqu’en 2006, cette maison est intacte, pas une ride, pas un cheveu blanc, pas l’ombre du début d’une bedaine.
Aux beaux jours du Canadien de Montréal, alors que les fines lames locales jouaient en leur Forum, plusieurs beaux bonhommes venaient en catimini se taper avant le match un petit boudin noir ou des saucisses de Toulouse, pommes de terre frites et chou-fleur en béchamel gratinée. Si l’entraîneur passait dans le coin, on remplaçait prestement le tout par quelque salade d’endives ou un steak au poivre, purée de pommes de terre, moins susceptibles de déclencher les remontrances. La gloire attirant la gloire, la table du Paris était alors fréquentée par bien d’autres pipoles et l’achalandage était stable et impressionnant.
Avec le déménagement de la grande patinoire et de son cirque sous d’autres cieux, la rue Sainte-Catherine a commencé à ressembler au centre-ville de Buffalo. On aurait pu craindre le pire pour ce restaurant somme toute modeste et peu porté sur l’autopromotion.
Force est d’admettre aujourd’hui que rien n’a égratigné la maison. La carte a très peu changé et l’on retrouve ici les classiques de cette restauration intemporelle qui a fait – et continue de faire – le succès des petites maisons de l’Hexagone. Un repas ici est la plus sûre façon de se rappeler un voyage fait en France et au cours duquel on a découvert que la cuisine française pouvait être simple dans sa complexité et grande sans être prétentieuse.
Le Paris propose des plats archiconnus que l’on redécouvre avec étonnement: rillettes de lapin, sauté de boeuf bourguignon ou île flottante. On trouve aussi ici des choses qui font frémir les plus jeunes: cervelle de veau grenobloise ou andouillettes. ("C’est quoi, papa, des andouillettes? Des tripes, ma chérie, des tripes préparées en saucisses; c’est délicieux, je t’assure. Qu’est-ce qu’il y a? Tu te sens pas bien?")
La grande qualité de la maison, outre cette longévité réconfortante, c’est la grande stabilité de sa cuisine. Cuissons, préparations, présentations, tout est ici comme aux premiers jours, et la brandade de morue si délicieuse que l’on avait dégustée à cette table il y a 20 ans a toujours le même moelleux et la même saveur. On n’est peut-être pas ici dans un haut lieu de création gastronomique et le concept de nouvelle cuisine n’a de toute évidence pas franchi le seuil de la porte, mais qui s’en préoccupe lorsque l’assiette est aussi soignée. Et, en cuisine comme ailleurs, conserver les standards est en soi une forme de création lorsque les standards sont élevés.
Même le décor, intentionnellement vieillot, constitue un atout tant il est vrai, amusant et sans prétention. Midi et soir, le service rappelle les meilleurs côtés de la restauration française, celle qui est attachante et réconfortante. Celle qui fait des établissements quinquagénaires pleins d’entrain. Celle que trois générations de la famille Poucant se sont efforcées de promouvoir. Et que les plus jeunes de la famille continuent à mettre en avant. Cinquante ans de succès, ce n’est jamais dû au hasard.
Le Paris
1812, rue Ste-Catherine Ouest
514 937-4898
Ouvert à midi du lundi au samedi et en soirée du lundi au dimanche. À midi, comptez une quarantaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et pourboire. Le soir, doublez. Plaisir égal, midi ou soir. Ce qui est souvent le cas avec les quinquagénaires en forme.