C’est sans doute une des choses que je préfère dans ce métier: trouver une petite adresse où tout ce que l’on aime est offert. Ça arrive de temps à autre. Cette fois-ci, la trouvaille s’appelle Le Margaux. C’est d’ailleurs plus une retrouvaille, mais l’essentiel, c’est que vous y soyez heureux. Vous le serez, j’en suis certain. Et en plus, vous pouvez y aller avec votre minuscule porte-monnaie des jours maigres, celui en peau de chagrin; au sortir de l’endroit, il y restera encore quelques sous au fond.
Bon d’accord, ici on voit que les patrons n’ont pas fait l’École des beaux-arts, ni celle du design d’intérieur. Côté décoration intérieure, c’est un peu succinct. Mais il sort de la cuisine de telles bouffées de garrigue et de telles volées de canards sauvages que l’on perd rapidement tout intérêt pour la couleur des murs et le tissu recouvrant les chaises.
Les gens de ce Margaux ne sont pas vraiment des inconnus pour les amateurs de bonne cuisine. Jérôme Chatenet et Corinne Cauhapé ont déjà fait, il y a quelques années, un joli bistro rue Villeneuve. Puis ils ont fait Emma, une ravissante petite fille, ce qui est beaucoup mieux que tous les jolis bistros au monde. Emma a grandi et tout le monde devrait remercier cette enfant de nous avoir rendu ses parents. Son papa surtout, non que sa maman soit négligeable, loin de là, mais c’est son papa qui est dans la cuisine. Et là, mes bons amis, quel bonheur!
De cette cuisine sortent en effet des choses époustouflantes. Des plats ruraux avec une délicate touche d’urbanité. Des palettes de couleurs éblouissantes, comme l’arc-en-ciel des flancs de cette truite, saoulée de rayons de soleil et cueillie à la main dans le courant frais d’un ruisseau ombragé. Des effluves à vous emporter dans les landes, nez à nez avec un beau lièvre sorti dans la rosée et le poil tout poli du thym et du romarin où il batifolait la veille encore. Des goûts puissants qui vous emportent sur les ailes de ces canards partis en plein soleil de midi au ras des genévriers.
Sur la carte, ça se lit plus concrètement: "Truite farcie au foie gras et aux pommes, sauce au floc de Gascogne", "Râble de lapin farci, poêlée de gnocchis maison au parmesan" et "Magret de canard rôti au pain d’épices, hachis landais à l’huile de truffes". Cuisson parfaite, harmonie des mariages, petits accompagnements irréprochables, portions impeccables.
Tout cela coûte trois fois rien le soir et les midis sont à si petits prix que l’on en est presque gênés pour les patrons; des petites attentions délicates comme cette salade d’orge, copeaux de thon, éclats de poivrons et quelques lignes fines de réduction de balsamique pour alléger la petite assiette carrée. Une bavette de boeuf au bleu et une araignée de veau d’une tendreté attendrissante; des coussins de purée de pommes de terre dans lesquels flottent quelques copeaux de canard, des morceaux de champignons dodus et des réductions de fond de veau d’une puissance remarquable.
Il y a cinq ou six ans, en sortant de l’ancien Margaux, j’écrivais: "La dernière fois que j’y suis passé, je m’y suis instantanément senti heureux, comme quand j’étais petit et que ma grand-mère préparait ses lapins sautés aux tomates et aux herbes de Provence." Certaines choses ne changent pas et restent aussi délicieuses malgré le temps qui passe. Les souvenirs émouvants et les bonnes tables, par exemple, conservent leur vivacité. Ce nouveau Margaux en est une très bonne. Et un passage ici deviendra un de vos très bons souvenirs.
Le Margaux
5058, avenue du Parc
514 448-1598
Ouvert à midi, du mardi au vendredi et le soir du mercredi au samedi. Carte des vins dans l’esprit des petits restos de quartier. À midi, une quinzaine de dollars avant boissons, taxes et pourboire par personne pour une entrée, un plat principal, dessert et café. En soirée, une trentaine vous garantissent une belle petite fin de journée. À ces prix-là, vous voudrez y amener famille et amis. Les premiers vous admireront pour votre générosité, les seconds vous seront fidèles à jamais.