Il y a aussi pas mal de restaurants entre Stuart et de l’Épée; des grands, des petits, des qui sentent le poisson et des qui croustillent joliment. À la liste des bons – qui constituent quand même la majorité de ce que l’on trouve ici – vient de s’ajouter le F. Quel drôle de nom pour un restaurant. Montréal avait déjà le G (rue Mansfield) et le S (rue Saint-Paul), mais quand même, dans une ville bilingue comme la nôtre la lettre F a quelque chose de suspect. La langue française étant très riche, chacun trouvera des déclinaisons élégantes et subtiles.
Ce F a plusieurs attraits: Il est sous la houlette des propriétaires du Vasco da Gama voisin qui font très bien leur métier. Il offre une des plus belles terrasses de la rue Bernard et une salle très accueillante qui, lorsque la température l’exige, permet de s’y réfugier pour se rafraîchir en temps de canicule ou pour se réchauffer lorsque tombe la fraîcheur.
Il offre aussi, cadeau notable, Marc-André Jetté aux fourneaux. C’est le chef. Ça veut dire que ce restaurant-ci en a un, ce qu’il est toujours rassurant de savoir quand on est client. Celui-ci est très talentueux et a démontré, dans diverses autres maisons où il est passé, qu’il possède toutes les qualités requises pour devenir le meilleur ami des clients gourmets.
Le F offre d’attrayantes formules pour meubler vos soirées, sa carte proposant quelques haltes dignes de mention, entrées et plats principaux.
Dans les entrées, par exemple, ces calmars frits, à peine couverts d’une nuisette translucide de panure au maïs, frisent l’indécence. Et cette petite mayonnaise aux agrumes, relevée d’une touche d’huile de truffe et d’une demi-note de menthe, augmente encore la tension quasi érotique qui s’abat sur le dîneur. Un plat tendre, souple, croustillant, subtilement parfumé et goûteux comme on en rêve toujours.
Chouriço grillé, croquettes de morue, assiette de viandes fumées et séchées proposées en version pour une ou deux personnes, saumon gravlax, d’une impeccable tenue sous la fourchette et presque fondant sous la dent, joliment épaulé par quelques fines tranches de concombre et un petit yogourt à l’aneth qui suffissent à rendre l’assiette amusante. On pourrait aisément se satisfaire de ces entrées comme repas.
Ce qui serait regrettable pour le flétan rôti, sa purée de céleri-rave et sa compote de pommes dans laquelle on place une noisette grillée que l’on mâche les yeux mi-clos en se laissant transporter au pays des gourmands impénitents. Ou pour ce succulent demi-poulet de Cornouailles d’une superbe tendreté et plein des parfums glanés ici et là dans le courant d’une vie trépidante de poulet de Cornouailles.
Je ne vous parle des desserts que lorsqu’ils sont excellents ou détestables. Je ne vous dirai donc rien de cette soupe de fruits de saison avec granité et brioche maison ni de ce crumble aux pommes que propose le F.
Il y a des chroniques moins ardues que d’autres à pondre. Quand la maison est bonne, les doigts vont presque tout seuls sur le clavier et les notes de table se lisent avec facilité. Cette chronique-ci est un plaisir prolongé, et la relecture des commentaires pris en catimini lors du repas d’hier soir vient de déclencher chez moi une nouvelle envie de me mettre à table sur-le-champ. Je suis toutefois un peu inquiet, car monsieur Homier-Roy vient d’annoncer qu’il est 6 h 12. C’est vous dire combien je vous recommande la maison.
Le F
1257, rue Bernard Ouest
514 272-2688
Ouvert sept soirs sur sept dès 18 h. Si vous êtes raisonnable (ce que je vous déconseille vivement), comptez une cinquantaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et service. Si vous vous laissez aller à la douceur de vivre, doublez; je vous souhaite tout aussi sincèrement de succomber.