J’ai encore en tête le souvenir du resto qui a longtemps vécu entre ces murs, puis survécu et enfin sévi pendant quelque temps avant de rendre l’âme. Au terme d’un certain nombre de rénovations, Le Grill lui a succédé – "en douce", pourrait-on dire, sans tapage publicitaire. Et il y a eu cette longue période de flottement… Au cours de l’hiver dernier, et même au début du printemps, j’ai deux ou trois fois pensé aller y faire un tour. J’y suis aujourd’hui. Le décor est chic et sobre, urbain; d’imposantes banquettes à haut dossier baignent dans une lumière diffuse. Mon amie et moi choisissons plutôt la terrasse, où une table vient de se libérer. Nous n’aurions pu trouver mieux pour un bain de foule: touristes, promeneurs, artistes ambulants, tout ce beau monde va et vient dans cette portion de la rue Sainte-Anne. Heineken et Listel gris: tchin! Alors que nous dégustons nos apéros, nos narines resquillent des odeurs de viandes et de sauces vite emportées par le moindre souffle de vent. Nous nous décidons enfin à jeter un coup d’oeil (paresseux) à la carte: "rouleaux impériaux de Mr. Khoune", mosaïque de flétan, risotto de crevettes et moules au safran, marmite du pêcheur, tournedos de saumon grillé, confit de canard Goulu (aigre-doux aux épices), poitrine de canard du lac Brôme… De l’autre côté de la chaussée, un couple âgé s’installe, dos au mur: elle chante, joue de l’harmonica, chante encore; lui l’accompagne à la guitare. Quelle voix! Nous applaudissons malgré nous, imités par d’autres. Mais voici déjà nos premiers plats. La bisque de homard est un délicieux velours chaud et un peu poivré. On n’y décèle pas l’amertume qui affecte parfois le goût de cette préparation. "Une vraie!" s’est exclamée mon amie à l’arrivée de sa salade niçoise. Elle en a rapidement fait l’inventaire, du regard et de la fourchette: olives, tomates, anchois, thon, oeufs durs, petits haricots, etc. J’ai droit à ma bouchée réglementaire. Les pommes de terre me semblent un peu trop froides – et une minute de cuisson supplémentaire ne leur aurait pas fait de tort. Celle qui me fait face ne partage pas mon avis. Elle se contente de sourire et de lever son verre à ma santé. Deux gorgées de rosé plus tard, elle se remet à l’ouvrage, jouant de la fourchette avec un plaisir évident. Autour de nous, les clients se suivent et ne se ressemblent pas. Le personnel s’empresse, à droite, à gauche, partout, et semble se multiplier. Nous croyons deviner qu’il ne s’attendait peut-être pas, aujourd’hui, à une telle affluence. Mon amie se commande un deuxième verre de Listel gris. Nos plats de résistance se manifestent – comme par magie, car nous ne les avons pas vus arriver. Chauds et brûlants, ils sentent bon. Pour mon amie, ce sont des tagliatelles aux crevettes et aux moules. On y aperçoit d’abord les crustacés qui semblent se dresser au-dessus des pâtes légèrement gratinées. Le premier coup de fourchette libère une bouffée de vapeur parfumée; la saveur du plat est à l’avenant, de même que la cuisson réussie des pâtes. Pour moi, ce sont les médaillons de veau de Charlevoix aux gyromitres et asperges vertes. À ma demande, la sauce m’a été servie à part. Tendres et rosées, les tranches de viande jutent dans l’assiette, presque autant que dans la bouche – au point que j’en oublie la sauce (j’y goûte néanmoins de loin en loin). J’ai eu la bonne idée de m’intéresser aux asperges grillées: elles s’avèrent excellentes. Tout à côté, dressée comme une petite tour, de la polenta au mascarpone. À peine l’ai-je entamée qu’il n’en reste déjà plus, car c’est maintenant la viande que j’oublie. D’ailleurs, quand mon assiette repartira d’où elle était venue, il y restera encore un morceau de viande, mais ni asperge ni rien d’autre. "Je suis sûre que tu vas finir végé un jour, toi!" Que répondre à cela? Sans se presser, mon amie termine ses tagliatelles, puis entreprend de siroter ce qui lui reste de rosé dans son verre. Le jour a sérieusement décliné; nos appétits aussi. C’est dans ces moments-là qu’on mobilise ses dernières ressources, en l’occurrence la gourmandise et la curiosité, pour demander à voir la carte des desserts. "J’en veux pas, moi, je te préviens…" Malgré son propre avertissement, mon amie fait elle-même la lecture: crème brûlée à la chicorée, crème renversée au caramel à l’orange, mousse au chocolat noir, coupe de sorbets… Nous nous entendons finalement pour un truffier au chocolat flanqué de deux fourchettes. Ben… on en a tout de même laissé quelques miettes dans l’assiette.
Le Grill
32, rue Sainte-Anne
Québec (Québec)
Téléphone: 418 692-4447
Menu du midi: 15 à 22 $
Table d’hôte: 27 à 39 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 91,45 $