Certaines maisons, aussi bonnes soient-elles, sont marquées par une personne. Un chef particulièrement talentueux, un membre du personnel en salle plus attentionné que la norme, un sommelier intelligent (c’est-à-dire qui s’arrange pour que vous le compreniez, même si vous ne détenez pas de doctorat ès oenologie de l’université de Bordeaux ou si vous ne possédez pas une cave de plus de 5 000 bouteilles). Quelque temps après une visite dans ce restaurant, demeurent, intimement liés aux plats servis, un visage ou une silhouette. Au Petit Bistro, cette personne s’appelle Claude Glavier. C’est le patron, vous ne pouvez vraiment pas le manquer.
Bien sûr, il faut vous dire que ce Petit Bistro occupe les murs d’une ancienne adresse montréalaise bien connue et fermée depuis peu, L’Armoricain. Le décor a été rafraîchi et une belle terrasse installée sur le toit. Reste un esprit très gaulois, imprégné dans les murs de cette auguste bâtisse du XIXe.
Il faut aussi, bien entendu, vous préciser que la cuisine servie ici reprend les classiques du répertoire bistro français en leur apportant ça et là une touche rafraîchissante ou une coquetterie émouvante. Coq au vin, frisée aux lardons, oeuf poché, salade de chèvre chaud, steak frites servi avec de belles pommes allumettes, nougat glacé, profiteroles et autres réjouissances. La maison n’a pas la prétention de révolutionner le patrimoine gastronomique mondial, ce qui est très bien car elle ne révolutionne effectivement pas, mais elle prétend servir une belle petite cuisine, presque familiale, ce qui est tout aussi bien car c’est exactement ce qu’elle fait. Belles préparations, cuissons précises, présentations académiques.
Mais tout ceci ne rendrait pas hommage à cette jolie petite maison si l’on ne parlait pas du patron. Énorme! Oh, pas de corpulence, rassurez-vous. Non, physiquement il est plutôt mignonnet, taille fine, oeil de velours et hâle bon chic, bon genre. Non, c’est le volume qu’il occupe qui est énorme. Imaginez un lapin rose à piles, verbomoteur, béret sur la tête, plein de zèle et de générosité. Il court partout, on le pense en cuisine et on le voit sortir de la réception pour le retrouver à peine quelques secondes plus tard derrière vous en train de vous expliquer le choix de l’autruche pour le tartare: "C’est un peu plus gras, donc plus intéressant au goût et plus facile à dynamiser". Question dynamique, on sait que l’on parle à un pro. Élise et Fred, nos ados, n’en revenaient pas du tourbillon, elles qui sont pourtant d’une éblouissante vivacité, notamment au moment de la vaisselle ou lorsque vient le temps de se pousser de la maison pour aller "chiller" avec leurs amis.
Bien sûr, sans doute par souci d’authenticité, les classiques du bistro français incluent aussi quelques couacs: corbeille de pain un peu moins croustillant que ce que le client aurait souhaité; poulet tentant en vain de remplacer le coq en vin, crime de lèse-majesté dans l’assiette; pommes "Salardaises" accompagnant le confit de canard et inquiétantes à juste titre pour tous les producteurs de pommes de terre de Sarlat (lire S-A-R-L-A-T). Mais, dans l’ensemble d’une soirée passée ici ou d’un passage à midi, ces petits impairs ne sont que détails tant le reste est plaisant.
À lui seul, Claude Glavier représente assez bien ce qu’un bon patron de restaurant français peut être lorsqu’il travaille avec son coeur. Toute cette constante bonne humeur, ce plaisir de recevoir les clients, de les accueillir avec chaleur et de les servir avec enthousiasme ne peut pas être feint. Les clients du Petit bistro viennent manger ici comme s’ils allaient chez un cousin sympathique et pas ennuyeux. Et qui ferait très bien la cuisine en plus.
Le Petit Bistro
1550, rue Fullum (coin Maisonneuve)
514 524-4442
Ouvert midi et soir du lundi au samedi. À midi comptez une quarantaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et pourboire. Le soir, doublez. Si vous tombez sous le charme du patron, triplez ou quadruplez. Carte des vins divertissante et raisonnablement facturée.