Les communautés religieuses vieillissent, leurs traditions s’évanouissent… Quelle ne fut donc pas ma surprise, à l’ouverture du marché Vieux-Hull, d’apercevoir deux très jeunes soeurs vêtues de noir de la tête aux pieds, qui vendaient fromages, pâtisseries et moussaka! Les habitués du marché les ont vite adoptées et avec elles les produits de leur fromagerie, Le Troupeau bénit.
Ces rencontres du jeudi avec les soeurs chrétiennes orthodoxes grecques du Saint-Monastère-Vierge-Marie-la-Consolatrice ont vite piqué ma curiosité. J’ai donc profité de l’été pour errer du côté de Brownsburg-Chatham, question de voir comment se perpétue au Québec le "patrimoine agroalimentaire religieux". Je voulais aussi mieux connaître la vie de ces femmes qui vivent selon des règles strictes – végétarisme, jeûnes quatre fois l’an, leurs longues journées ponctuées de prières.
C’est un peu au nord de Lachute que la communauté a élu domicile: au bout d’une longue route de terre, perdue en forêt, on débouche sur de vastes vallons verdoyants. Fondé en 1993, le monastère compte une vingtaine de religieuses, certaines très jeunes, plusieurs venues de la grande région montréalaise ou des États-Unis. Il faut les voir, au volant de leur véhicule utilitaire, sillonner à toute allure les quelque 200 acres sur lesquels sont dispersés magasin, église, serres, poulaillers et fromagerie! Les soeurs y vivent des fruits de leur culture et des revenus que procurent fromages, gâteaux, plats cuisinés, icônes et bougies, tous de fabrication artisanale.
Si le décor est saisissant, je remarque tout de suite que le "troupeau bénit" se fait étrangement discret… C’est que depuis le début de l’année, me dira-t-on, les religieuses ont dû se départir de la grande majorité de leurs chèvres et brebis, les pâturages étant difficiles sur ces terres rocailleuses et la charge de travail, trop lourde pour la communauté. Qu’à cela ne tienne, elles n’ont pas abandonné la production de fromage, les fermes avoisinantes s’occupant de les approvisionner en lait. N’ayant pas renié leurs origines grecques, elles produisent une feta de brebis remarquable, moins acidulée et crayeuse que les fetas de chèvre ou de vache que l’on trouve généralement sur le marché – et qu’elles offrent aussi. On aimera tout autant les petites boules de chèvre frais conservées dans l’huile de pépins de raisin – une huile au goût très fin, ne se figeant pas à la réfrigération et bonne pour la santé! -, qui se déclinent en version nature ou aux différents parfums d’herbes et d’épices. Au total, elles produisent sept fromages, dont l’incontournable Graviera, une autre tradition grecque, fait d’un mélange de laits de chèvre et de brebis, qui rappelle certains cheddars. Enfin, tous les gourmands trouveront leur compte avec les crèmes glacées, yogourt, spanakopita, moussaka, tzatziki et autres baklavas.
Une visite en famille permettra de se recueillir un moment dans la petite église aux murs décorés d’icônes, de nourrir d’herbes fraîches les quelques chèvres qui font office de troupeau et de déguster un bon morceau de gâteau au chocolat moelleux, calmement assis au milieu des prés verts! Bref, on y vient pour le ressourcement religieux, pour le bon bol d’air ou pour se réjouir les papilles. Et on en ressort immanquablement les bras chargés de victuailles!
Fromagerie du Troupeau bénit. Saint-Monastère-Vierge-Marie-la-Consolatrice. 827, chemin de la Carrière, Brownsburg-Chatham, Québec, 450 533-4313. Kiosque tous les jeudis au marché Vieux-Hull, rue Laval, entre 11h et 18h. Pour la visite au monastère, il est préférable d’éviter les shorts et les camisoles; les femmes doivent porter une jupe sous le genou – que l’on vous fournira au besoin.
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