Dans notre dernier épisode, nous avions vu tonton Jean-Paul, chef émérite, et tatie Danielle, pétillante G.O., courir à travers la ville pour trouver LE local qui conviendrait à leurs caractères et au style de cuisine qu’ils entendaient préparer et servir. L’épisode se concluait sur un coucher de soleil féerique sur la place centrale de Saint-Augustin-de-Mirabel où était réunie la population, éplorée par le départ de tonton Jean-Paul et la fermeture de son petit restaurant étoilé, "Le Saint-Augustin".
Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre et les gourmands montréalais ont toutes les raisons de se réjouir. Les gourmets également. Et les fins gourmets encore plus: monsieur Giroux et madame Matte ont ouvert boutique boulevard Saint-Laurent juste au sud du boulevard Saint-Joseph.
Le local où ils se sont installés a été rénové et décoré avec beaucoup de goût. Du bois chaleureux, du miroir élégant et une omniprésence de vert, couleur de l’espoir, celui notamment de tous les restaurateurs qui ouvrent une nouvelle maison ("Pourvu qu’ils aiment.") et de tous les clients qui s’assoient à une nouvelle table ("Pourvu que nous aimions.").
Une chose est certaine, tout est en place pour que ce soit une belle histoire d’amour entre une cuisine généreuse et des gastronomes avides de beaux petits plats allumés.
En entrées, par exemple, ce croustillant d’escargots, de chou-fleur et de céleri-rave et cette fricassée de champignons, jus de poule et macreuse rôtie ont tout pour mettre les fines fourchettes de bonne humeur et les préparer à connaître une excellente soirée à table. Dans le premier cas, un petit baluchon croustillant de pâte à brick enveloppant les gastropodes, toujours extrêmement déprimés par leur hermaphrodisme, mais ici attendris par la proximité d’une délicate compotée de céleri-rave et de chou-fleur, soulignée d’une pointe de ciboulette et d’ail. Quelques feuilles de salade tendres, poirée et feuilles de chêne, et une belle réduction de vin rouge, xérès, échalote et huile de pépins de raisin.
Les champignons, de leur côté, étaient poêlés, servis sur un lit de bouillon de poule réduit et accompagnés d’un joli cube de macreuse (morceau d’épaule de boeuf, habituellement réservé au pot-au-feu) mariné dans du vin rouge, braisé, puis poêlé, ce qui donnait un agréable mélange de moelleux et de croustillant.
Plats principaux: à gauche, cabillaud cuit au four, purée et lard fumé; et, à droite, gigue de cerf rôtie, sauce gibier.
Déjà, ça partait plutôt bien, "cabillaud" étant quand même plus élégant que "morue", même s’il s’agit du même poisson; un beau morceau, très parfumé, une fine croûte grillée et de belles lamelles qui se détachent bien à la fourchette. Une purée que je qualifierais de superbe. Dieu sait, ainsi que ma famille (victime de plusieurs purées parties à la poubelle à la dernière minute parce que jugées imparfaites) et quelques restaurateurs aux purées lapidées dans ces pages, combien je suis difficile en la matière. Cette purée de pommes de terre nouvelles, écrasées au pilon plutôt que pulvérisées, fleurait bon le beurre et la crème. Le tout était accompagné d’une belle tranche de lard fumé qui venait stabiliser le plat en lui donnant cet élan de surprise que réservent rarement les morues, aussi cabillauds soient-elles.
La gigue de cerf rôtie est servie saignante, presque bleue, comme il se doit, sur un demi-radis racine, blanchi et poêlé et déposée sur un napperon de sauce gibier (fond de cerf, baies de genièvre, vin rouge). Cette sauce est parfaite ici, car elle ajoute au plat une touche moussue soulignant le caractère fortement boisé de cette viande, d’une tendreté si émouvante que l’on en vient presque à se vouloir biche pour connaître ce beau grand cerf si différent de ses copains souvent un peu brouillons et sans égard pour leurs copines. Un grand moment dans l’assiette tant la qualité du produit et l’art du chef sont en parfaite harmonie.
Au moment du dessert, on hésite entre les trois choix: Terrine de chocolat, crème anglaise; Salade de fraises d’automne, sorbet à la crème sûre; et Tartelette de noix et fruits secs. On prend les trois, émotions fortes ici encore avec les deux premiers, bombe de chocolat noir, moelleuse, onctueuse, quasi illégale, dans un cas et parfait exemple d’équilibre entre le sucré et l’aigrelet dans le second. La tartelette était si insignifiante que je respecte son anonymat et ne vous en dirai strictement rien. On apprécie, quoi qu’il en soit, le choix du chef de ne présenter pour l’instant que trois petits desserts, compte tenu du fait que le restaurant vient juste d’ouvrir et qu’il en est encore à ses balbutiements de nouvelle maison. Avec le temps la palette s’élargira, on n’en doute pas.
Cuisine & dépendance
4902, boulevard Saint-Laurent
514 842-1500
Ouvert à midi du mardi au vendredi et le soir du mardi au samedi. À midi, comptez une trentaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et pourboire. Le soir, doublez ou triplez si vous êtes en forme et que vous succombiez aux charmes de l’endroit qui n’en manque pas; service fluide et efficace, très beau choix de vins proposés à petits prix et impeccable café La Colombe figurant en tête de liste.