Restos / Bars

Apollo : Apollo 11,5 ou comment s'envoyer en l'air sans être dans la lune

Aux portes de la Petite-Italie, le plus français des chefs italiens ouvre son nouveau restaurant.

D’abord Apollo 11: c’était en 1969 (le 21 juillet très exactement, pour les maniaques du détail). Le monde émerveillé avait vu, ce jour-là, Armstrong poser le pied sur la lune; enfin, le monde ayant la télé. Et si c’était à la télé, c’était sûrement vrai.

Ensuite Apollo 11,5: c’est Giovanni Apollo, le chef rond comme une pleine lune. Tout est si en rondeurs chez lui que, lorsque je vois des clients le saluer d’une amicale tape sur l’épaule, j’ai toujours peur qu’il se mette à rouler en renversant tables, chaises et tout ce qui se trouve sur son passage.

Le 0,5, c’est pour le fait que cet Apollo-ci ne connaît pas de Mer de la Tranquillité. Il a posé son engin un peu plus loin, sur le boulevard Saint-Laurent, à droite en montant, juste avant la Petite-Italie. Ce coin de la Main n’est pas tranquille, il est moribond. Mais on sent déjà un frémissement et l’on pressent une sortie imminente de cet endormissement qui aura duré quelques années.

Le resto Apollo contribuera sans doute à ce nouvel essor. Décor chic et retenu, un peu fils de pub, banquettes moelleuses et chaises spartiates (lire: dures comme l’âme d’un banquier). Derrière le mur du fond en vitrine, les cuisiniers cuisinent. Ça a quelque chose de rassurant. Le soir de notre passage, de nombreux groupes de jeunes gastronomes s’égayaient aux belles tables du restaurant. Ils riaient beaucoup, parlaient fort, comparaient les crus apportés et commentaient avec admiration les plats. Des tablées disparates, mais ayant en commun un plaisir évident de se trouver à une bonne adresse pour festoyer. Un vrai plaisir également à observer.

La formule de ce nouvel Apollo est originale; ni carte, ni menu. Au mur, des propositions selon les saisons, les arrivages et l’humeur du chef. On part avec des choses comme: "Les pâtes", "Le canard", "Le veau", "Le boeuf" et l’on se retrouve avec de grandes assiettes carrées en bois sur lesquelles reposent quatre petits plats formant un casse-tête ensoleillé. Trois déclinaisons sur le thème choisi, plus une portion de légumes, version "apollonesque" du truc alimentaire de Santé Canada. En plus érotique, évidemment.

Nous avions choisi "Champignon" et "Saumon"; "Fromage" – ne serait-ce que pour regretter davantage d’avoir oublié à la maison sur la table de l’entrée ces deux petites bouteilles d’Irancy qui auraient si bien éclairé la soirée -, "Épices" et "Sorbets", pour finir dans la soie.

En amuse-bouche, arrivent deux jolis petits pilons de pintade croustillants, salsa pimentée. Parfaits pour débuter, intrigants, amusants. Comme l’air du garçon annonçant "cuisses de poulet", sans doute décontenancé par toutes les belles jeunes filles babillant à la table voisine.

Première déclinaison sur le champignon: Ragoût de trompettes de la mort (craterellus cornucopioide, pour les mêmes puristes que ci-haut) et morilles, feuille de jambon Serrano. Le plat est parfait, même si l’on peut trouver discutable et inutilement vindicatif le choix d’un jambon espagnol quand on ouvre un établissement si près du quartier italien. Sans doute le côté Zizou du chef. Impeccable tartelette au cèpe, émulsion à la truffe blanche et Armillaire couleur miel sauté, fondant de bleu bénédictin, ce dernier trop fort comme toujours pour partager harmonieusement l’assiette avec quoi que ce soit.

On enchaîne sur le saumon. Une triplette si belle qu’elle pousse à se réconcilier avec ce poisson un peu ressassé: moelleux tartare de saumon à l’huile de tangerine; incroyable tendreté du pavé de saumon à l’unilatéral, quenelle d’avocat au yuzu et radis croquants; et touches d’Orient dans le cube de saumon au parfum de sésame.

Ici encore dans les trois petites assiettes, une belle maîtrise technique, une judicieuse utilisation des éléments dont on tire le meilleur selon leurs caractéristiques spécifiques et une délicatesse extrême dans la présentation des mariages parfois très alambiqués. En d’autres termes, si vous voulez vous prendre la tête avec la cuisine de monsieur Apollo, vous pouvez; mais si vous voulez vous détendre et savourer paisiblement, vous pouvez aussi.

Quartet de fromages assez insignifiant. La maison est jeune, les fromages l’étaient malheureusement tout autant. Et si c’est une qualité dans un cas, dans le second, c’est un défaut. Appelez un fromager-affineur au plus vite, de grâce.

En dessert, première déclinaison sur les épices: Couscous au ras-el-hanout et à l’ananas, quelques copeaux de coco, puis Petit pain d’épice rôti, confiture de lait, deux desserts amusants, certes, mais sans plus; alors que les deux autres membres de la famille: Nage de petits fruits, sirop léger à la cardamome et Glace au fromage et à l’anis étoilé constituent une halte obligatoire dans la soirée. Et seconde déclinaison sur les sorbets avec notamment une interprétation assez allumée de sorbet aux agrumes, à base de pomelo, ou aux dattes, tout aussi dynamisante.

Apollo
6389, boulevard Saint-Laurent
514 274-0153

Ouvert en soirée du mardi au samedi. Préparez un beau billet rouge du Dominion par personne, avant boissons, taxes et pourboire. Si vous tombez dans l’excès, ce qui est tout à fait plausible compte tenu du côté lutin de la carte, préparez un autre billet rouge pour éponger le tout. Et en parlant d’éponger, la maison chargeant un petit droit de bouchon de 8 $, comme cela se pratique dans les meilleures chaumières, apportez donc une de ces belles bouteilles que vous cachez au fond de la cave en prévision de l’apparition d’une belle table. Celle-ci en est une assurément.