C’est un peu comme si vous étiez à Saigon ou à Bangkok et que vous voyiez un restaurant appelé "Arthabaska" ou "Épinette". Vous entreriez, avides de goûter quelques poêlées de pétoncles au sirop d’érable, un steak de caribou, de la tourtière ou de la poutine au foie gras. Et si vous vous retrouviez en train de suçoter des nems en buvant du thé vert, vous seriez forcément déçus.
J’attendais de l’africain, du manioc, de l’igname, du plantain, des plats déconcertants. Les Masaïs, peuple de l’Afrique de l’Est vivant au nord de la Tanzanie et au Kenya, mangent des trucs assez différents de nos plats quotidiens. Ici, à part le grand Black très sympathique venu nous accueillir et qui s’occupera de nous plus tard dans la soirée, rien de très évocateur du continent africain.
Une belle grande salle bien éclairée, un grand bar dans le fond, un décor sans trop de flaflas, cette nouvelle maison respire la détente. L’appellation "Bistro-Lounge" pourrait inquiéter et pourtant, on mange mieux que dans le bistro moyen local et la "loungitude" ici est tout à fait acceptable pour le commun des mortels.
Vendredi soir, 19 h, dans la salle une grande tablée soupe et un autre groupe d’une trentaine de personnes prend un verre au bar en attendant de s’asseoir. Restent quelques tables le long de la banquette. "Vous avez une réservation?" Ma fille bafouille: "Oui", impressionnée par l’hôte, format armoire à glace, ébène et sourire dévastateur.
On étudie la carte. Une vingtaine de choix, rien de très compliqué, dont une partie se décline en petites ou grandes portions, version tanzanienne des tapas. La carte des vins (temporaire) est suffisamment insignifiante pour rendre l’abstinence supportable.
On partagera donc, sur les conseils de notre hôte, trois petits plats, un bol de frites et un poisson. Pop-corn de ris de veau, semoule de maïs et miel de paprika. Le ris de veau a connu de meilleurs moments, mais l’assiette est joliment montée et l’on est dans l’enthousiasme du départ et d’une faim de loup.
Calamars frits, aïoli, un peu desséchés par une panure intempestive, le goût est par contre plutôt agréable et la version très peu marseillaise de l’aïoli, servi dans un petit verre, complète bien le plat.
"Crevettes juste grillées sur carapace, à monter soi-même, feuilles de Boston et sauce mangue aigre-douce", dit la carte. En version petit plat, on devrait en fait lire "crevette" et "feuille" au singulier. La nôtre, cuite maladroitement, collait tant à la carapace que nous perdîmes une bonne partie de la chair lors du décorticage et la demi-feuille de salade faisait un peu pitié. À 8 $ la portion, je vous suggère de regarder ailleurs.
Flétan poêlé au sésame, bouillon aux oignons verts, purée de haricots coco au wasabi. Belle pièce de poisson, blanc impeccable renforcé par le saupoudrage de grains noirs. Plat parfaitement réussi, cuisson impeccable du poisson et cette pointe de relevé vient donner un élan superbe à l’assiette.
Venaient-elles vraiment de l’île d’Orléans? En tout cas, ces frites étaient parfaites, aspect, texture et goût. Et le retour de l’aïoli fut salué d’un sourire indulgent. Élise: "Pourrais-je avoir du ketchup, s’il vous plaît?" – "Avec plaisir, mademoiselle." Il finit par arriver, apporté par la troisième personne à qui il fut demandé, mais le plaisir des deux premières avait duré si longtemps que la frite avait eu le temps de se ramollir, sort peu enviable pour une frite, même venue de l’île d’Orléans.
En dessert, ni la crème brûlée, fraises roulées dans le sucre (des fraises? Où ça des fraises?), ni le Tiramisu – à ne pas proposer à un Italien à moins de vouloir se fâcher – ne passeront à la postérité. L’étagé de chocolat (fudge glacé aux trois chocolats, compote de rhubarbe) aurait peut-être pu, mais il n’y en avait déjà plus.
Dans l’ensemble, compte tenu des prix très raisonnables pratiqués ici et du service très courtois, la maison passe quand même le test du bistro-lounge où l’on viendra avec plaisir retrouver ses amis pour passer une soirée relax. Pour ce qui est de l’expérience gastronomique, c’est une toute autre affaire. Mais n’en faut-il pas pour tous les goûts?
Masaï
5637, avenue du Parc
514 678-1156
Ouvert en soirée du mardi au dimanche, dès 17 h. Côté restauration proprement dite, comptez une quarantaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et pourboire. Si vous "loungez", " Sky is the limit", comme disent les Français.