Une mauvaise nouvelle en amène parfois une bonne. C’est le cas ici puisque la disparition prématurée de La Tartine, ce croquignolet établissement de l’avenue Bernard qui faisait partie de nos coups de coeur de l’année, avait plongé les amateurs de bonnes tables dans une torpeur attristée. Les bonnes adresses – je veux dire les adresses où l’on propose de la vraie cuisine – ne courent pas les coins de rue dans le pourtant très chic arrondissement d’Outremont et cette tartinette avait conquis le coeur de bien des lecteurs et lectrices. Hélas, elle ne dura que ce que durent les roses.
Deux, trois coups de pinceaux plus tard et quelques nappes posées sur des tables pour deux ou quatre clients, voici donc Halte urbaine. Une nouveauté sans en être une puisque la cuisine assez retroussée de l’ancienne maison était une invention du chef aux fourneaux pour la nouvelle. En plus d’être à la radio, à la télé et dans les magazines les plus branchés, Yann Perreault, chef du restaurant Area, illuminera donc dorénavant l’avenue Bernard.
La carte reprend les plats qui ont fait le succès de La Tartine. En mieux, monsieur Perreault améliorant constamment ses prestations. Quelques entrées, un ou deux "grilled cheese", une ou deux tartines, trois plats principaux et un bar à risotto inspiré par Area. On complète le tout avec un plateau de fromages sélectionnés avec goût et quatre desserts à faire fondre les plus endurcis. Tout ici est marqué du sceau de qualité; les produits sont frais, choisis chez les meilleurs fournisseurs et producteurs et la réalisation technique est irréprochable.
Deux soupes, proposées pour réchauffer nos corps un peu engourdis par les premières froideurs, vont bien au-delà. Ce potage de panais, par exemple, habillé d’une brunoise de pommes au cari de Madras et ourlé de ciboulette et d’échalote française, constitue un point de départ idéal pour cette halte très urbaine. Onctueux tout en restant aérien, réconfortant sans aucune lourdeur. Quelques gouttes de lait, un peu de poivre concassé et l’on se trouve immédiatement sous le charme. Charme qui entre également dans la composition de la soupe de courge. Un peu de crème sûre à la fleur de sel, quelques feuilles de persil plat, une ou deux gouttes d’huile de truffe blanche et le tour est joué. Le tout est si bon que l’on en vient à regretter d’avoir commandé autre chose ensuite.
De très beaux plats par ailleurs qui permettront de savourer le plaisir d’avoir fait halte ici. Un joli pavé de thon mi-cuit au piment québéco-basque, quelques fioritures de purée d’avocat soulignée de lime et, en point d’orgue, une splendide salade de fèves germées et pickles de shitakees au vinaigre de riz et gingembre. Là encore, on sent le travail de création dans l’équilibre ambiant; et la fraîcheur des éléments composant l’assiette confirme le sérieux de la maison.
Le bar à risottos offre une dizaine de variations, toutes plus divertissantes les unes que les autres. On hésite longtemps avant de faire son choix tant les propositions sont alléchantes. Riz à peine croquant, parfumé de lait de parmesan, et digne de figurer à la table de Romains exigeants, le plat est aussi beau que savoureux.
Une irréprochable terrine de foie gras à la purée de dattes de Californie, quelques toasts de pain brioché, un peu de fleur de sel et une délicate giclée de vin cuit mettent le client en état de béatitude. Sourire intérieur et air légèrement hagard; signe de cette félicité éprouvée aux bonnes tables.
Les amateurs, et connaisseurs, trébucheront avec joie sur ce gâteau au chocolat 75 % tiédi, fouetté à la sauce butter scotch et fleur de sel. Moment de jubilation et de rougeurs des pommettes. Rarement assiette aura été aussi soigneusement nettoyée. Élise pourtant prétendait quelques minutes plus tôt ne plus pouvoir avaler une miette. Inconstante jeunesse et fougue des soirées de sorties entre copines.
Madame M. et moi-même partageâmes modestement un crumble aux amandes, confiture de petits fruits et somptueuse crème pâtissière à la fève de Tonka. Comme disaient les dieux: "Si jeunesse savait et si vieillesse pouvait…" Ici encore, on sent que quelqu’un quelque part a réfléchi avant de mettre ceci en forme. Et le résultat est éloquent.
Cette Halte urbaine est inscrite d’ores et déjà dans mon petit carnet de maisons de choix. Je me fais une joie de la partager avec vous; que je sais aussi gourmands que moi.
Halte urbaine
1248, avenue Bernard
514 278-3637
Ouvert du lundi au mercredi de 11 h à 22 h, jeudi et vendredi de 11 h à minuit, samedi de 9 h à 22 h et dimanche de 9 h à 17 h. À midi, comptez une trentaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et pourboire. Le soir, doublez. Plaisir égal midi et soir. Le choix de vins s’améliorera sans aucun doute, y compris les vins au verre. La maison vient d’ouvrir, on peut patienter. D’autant plus que le service est d’une remarquable courtoisie.