Superbe. Rien de moins. Cette nouvelle maison est l’antidote parfait à la morosité accompagnant les premiers verglas, les premières serrures gelées et les premiers vols planés sur des trottoirs glacés. Chez la famille Rouyé – père et fils en cuisine, maman en salle -, cuisine, service et décor sont sur un même podium, celui du centre, le plus haut.
La Porte occupe l’espace habité jusqu’à tout récemment par Il Sole, petit restaurant italien très apprécié des connaisseurs et dont les patrons ont pris une regrettable retraite anticipée. Au mur, est resté le soleil qui illumine toujours l’endroit. Pour le reste, on a fait table rase et l’on est reparti à zéro. Bruno Braen, à qui l’on doit entre autres les décors très allumés de chez Pullman ou du Club Chasse et Pêche, a peint une nouvelle toile de fond qui crée une atmosphère chaleureuse, fauteuils profonds et vases suspendus.
Passé incognito un midi quelques jours auparavant, j’avais été soufflé par un repas digne de sortir des plus belles cuisines de France et de Navarre, et ce, pour une vingtaine de dollars. Même, mon ami MAB, grande fourchette devant l’éternel, avait manifesté un enthousiasme spontané. Entrée de langoustine, risotto et petit dessert explosif au chocolat 200 %. Babas, nous étions. Et moi, marri de voir mon ami ramasser une si modeste addition.
De retour un samedi soir, les attentes sont élevées. Carte courte et conçue intelligemment. La maison propose des tables d’hôte à 45 $ pour cinq services (aubaine) ou à six services avec le fromage pour 50 $ (deuxième aubaine), ainsi qu’un menu dégustation de sept services pour 70 $ (troisième aubaine). Nous nous contenterons du trio entrée, plat principal, dessert, un verre de vin pour ma convive et une bouteille d’eau minérale pour moi-même.
Belle atmosphère de restaurant un samedi soir, une certaine frénésie dans l’air. Curieusement, ici la salle reste sereine. On sent les clients calmes et détendus. La patronne volette de table en table et un élégant jeune homme au mohawk stylisé assure un service qui, tout en restant très cool, n’en est pas moins extrêmement efficace.
Un amuse-bouche de brandade de morue, deux entrées de thon rouge et de foie gras. On quitte déjà le boulevard enneigé sur lequel passent en glissant quelques nymphettes en goguette. Les bouchées de thon sont servies en nems de pâte philo et relevées d’une vinaigrette asiatique qui donne envie de déménager à Bangkok sur-le-champ. Le foie gras vient escorté de poires caramélisées et de chapelure de pain d’épices. Sans fautes jusqu’à présent.
Lotte et crevettes sauvages d’un côté de la table; pigeonneau en face. Comme c’est souvent le cas dans les couples, le pigeon, c’est moi. Mais quel plaisir! Le volatile, rôti et découpé, est présenté en quatre feuilletons: filets et entrecuisses dodues, petite tranche de foie gras saisi rosé, fricassée de far au sarrasin et cuisse en pastilla bourrée de jus de miel. Quatre feuilletons croustillants, gorgés de sucs, moelleux, juteux, parfumés; trois jours plus tard, j’en salive encore juste à vous en parler. Dans le restaurant, on reconnaît facilement les clients qui ont choisi ce plat. Ils sont tous un peu béats, en légère lévitation au-dessus de leur chaise sur fond de Messe en si mineur de Bach, Gloria In Excelsis Deo.
Repliée à l’autre bout de la nappe, tentant de se cacher derrière un sourire innocent, Madame B. suçote méticuleusement une olive. De son plat, une belle coupe pouvant accueillir une famille de crevettes géantes et un banc de lottes, montent des airs de biniou. Tendres et juteuses, la lotte et ses copines sont préparées en tajine et reposent dans un irrésistible petit bouillon réduit très fort en citron confit; quelques olives et quelques bouchées de tomates confites également complètent le plat.
Deux indescriptibles desserts: à gauche, biscuit breton, "traou mad" pour les puristes armoricains, crème brûlée à l’érable, pommes au caramel beurre salé; à droite, raviolis de fruits de la passion et glace croustillante. Indescriptibles dans leurs détails car dévorés en un clin d’oeil. Techniquement parfaits et artistiquement émouvants, vertus fondamentales des vrais desserts.
Le service est assuré avec sérieux et efficacité. Avec légèreté aussi et avec une gentillesse qui rend la maison sympathique dès le premier repas. On sent dans cette maison beaucoup de générosité et de travail pour offrir aux clients le meilleur de tous les produits avec lesquels la cuisine travaille. Comme le talent côtoie le savoir-faire, le passage à cette table est un moment de pur plaisir. Une de ces rares tables que je vous recommande sans aucune hésitation. Bon appétit.
La Porte
3627, boulevard Saint-Laurent
514 282-4996
Ouvert à midi du mardi au vendredi et en soirée du mardi au samedi. Midi pour une galette (bretonne, cela va de soi), soit environ une vingtaine de dollars par personne. Le soir, l’addition s’ajustera selon votre humeur et le moelleux de votre portefeuille. Intéressante carte des vins, mais choix de vins au verre un peu déficient. Quoi qu’il en soit, une des plus belles cuisines de Montréal en ce moment.