C’est un mardi soir plutôt tranquille. Je dirais même sans relief. À la radio joue une musique de circonstance, c’est-à-dire soporifique. Heureusement, nous arrivons – et trouvons par bonheur une place de stationnement juste devant le resto. À l’intérieur, les miroirs nous multiplient par deux ou trois le nombre des clients. On nous débarrasse courtoisement de nos manteaux et, alors que nous prenons place non loin du bar, un serveur traverse la pièce avec deux assiettes débordant de verdure. "Les belles salades!" murmure déjà mon invitée. Je préfère pour ma part traquer un peu du nez les fumets égarés. Il y en a de vagues traces qui se seraient complètement évanouies si la porte battante de la cuisine ne s’était ouverte une nouvelle fois pour livrer passage à un plat de pasta. Je retrouve sur la carte de vieilles connaissances, les "pétoncles baie de Naples", le "trio di pasta", la "trilogia di vitello alla moda del cuoco"… Je me souviens d’avoir déjà mangé ici d’excellents ris de veau, mais lesquels? La poêlée à l’orange et moutarde ou bien le duo avec langoustines à la nantua? Au chapitre des souvenirs, mon invitée ne semble pas plus avancée que moi. Si elle a gardé un souvenir précis des cannellonis gratinés, elle n’est pas sûre d’avoir déjà goûté aux "rigatoni all’cognac", encore moins à la morue en salsa de mangue et beurre de lime à la tequila (peut-être nouvellement inscrite au menu) ou à l’émincé de porcelet à l’érable et porto. Après un bref survol de ce qu’il reste à voir – les poissons, l’entrecôte grillée sauce Bercy… -, je passe ma commande sans être tout à fait sûr que je n’aurais pas préféré autre chose. Mon invitée, elle, ne montre aucune hésitation et décide de commencer par une "insalata al roquefort", opulent et frais mélange de laitues, d’endives et de trévise. Le fromage y ajoute son goût et son moelleux sans trop s’imposer. Du fin vermicelle de riz (façon cheveux d’ange) tapisse le fond de mon assiette avec, par-dessus, de fines lanières de poivrons rouge et vert. Une brochette de crevettes repose sur tout cela. Telle est mon entrée de crevettes à l’orientale, colorée à souhait, semée de ciboulette ciselée, rehaussée de caramel balsamique et de crème de sésame. La soirée en prend quelque relief, me dis-je. Pour la suite, j’ai demandé peu, très peu du minestrone dont notre serveur m’a vanté les mérites. Au milieu de l’assiette trône un croûton bien grillé, coiffé de parmesan râpé; tout autour, tortellinis, haricots rouges, carottes, tomates épépinées et pelées… Je mange donc avec un appétit que je ne manifeste pas souvent pour une soupe. De son côté, mon invitée s’est fait servir un quart de litre d’un agréable petit vin rouge (Serenata), qu’on nous dit venir de Trento, pour accompagner son escalope "Della Perla". La sauce, très onctueuse, composée de sambuca et de crème, se révèle légèrement sucrée et nappe autant la viande que les crevettes et les tomates qui composent ce plat gourmand et bien équilibré. Gratin dauphinois un peu aillé, chip de taro, mange-tout, betteraves rouge et jaune, haricots verts, carottes et purée d’épinards constituent l’accompagnement, le même que celui qu’on retrouve dans mon assiette. Mes escalopes à moi se situent dans un autre registre – un peu moins doux, plus corsé, en raison d’une sauce au madère et à la crème de chèvre. De ce velours fluide, servi séparément à ma demande, j’humecte, je mouille, j’enrobe les morceaux de viande, prêtant une papille attentive à chaque nuance de chaque bouchée. Nous mangeons sans mot dire, alors que la faim se retire lentement pour faire place à une espèce d’hébétude… que nous prolongerons d’un petit verre de Limoncello.
La Perla
1274, avenue Chanoine-Morel
Sillery (Québec)
Téléphone: 418 688-6060
Menu du jour: 11,25 à 16,50 $
Table d’hôte: 24,50 à 32,50 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 86,43 $