"Vous avez tout noté… Vous allez pouvoir ouvrir un autre restaurant ailleurs", commente en souriant notre serveur, au moment où je lui rends la carte. Je réponds tout simplement: "Non: plusieurs!" Et je plains in petto celui ou celle qui se lancerait dans la restauration avec, pour tout bagage, les noms de quelques mets – pour suggestifs et alléchants qu’ils soient! À cette réflexion, que je fais à mi-voix, mon amie ajoute un ou deux souvenirs tristounets dont on rit quand on se retrouve, comme ce soir, dans un établissement où l’on n’a rien à craindre, hormis les excès de table auxquels vous convient antipasto, risotti, soupes, poissons et fruits de mer (saumon, truite, thon, crevettes), côte de veau grillée, carré d’agneau, filet mignon avec prosciutto fumé et sauce au fromage, sans parler de la rubrique des pizzas où la Gamberetti (sauce tomate, pousses d’épinards et crevettes au lait de coco) fait figure de vedette. Dans cette salle à manger, les parfums sont vrais. Persistants ou fugaces, ils évoquent ce que nous avons déjà consommé ici… ou ce qu’on regrette de n’avoir pas choisi la dernière fois. En ce qui me concerne, j’ai commandé, aujourd’hui encore, ce que mon amie avait tout de suite repéré dans la longue liste des pasta en disant qu’"il y est encore". C’est au sujet de l’entrée que j’avais eu… le choix des embarras (comme disait une de mes connaissances) en méditant les minestrone, martini de pétoncles marinés à l’huile de noix, croustillant de brie à la gelée de betteraves et lime, etc. L’inspiration m’était tombée dessus à la nième gorgée de Kronenbourg, alors que mon vis-à-vis terminait son Chianti et s’apprêtait à enchaîner avec un verre de Primula. Le resto est bondé, on jase à chaque table; cela vous fait une rumeur sourde, tissée de tant de conversations différentes qu’on entend à peine la guitare et la voix du chanteur Saldaña installé dans la première partie du restaurant. Partout, des oeufs de Pâques suspendus au plafond ajoutent à l’ambiance toujours festive du Portofino. Et voici mon entrée: "mousseline di fegato di coniglio tartufato". Imaginez, dans une assiette blanche, cinq grandes cuillers au manche écourté, chacune garnie d’une bouchée de parfait de foie de lapin, onctueux et suave (bien qu’un peu poivré), posé sur un petit carré de pain d’épices. Au centre de l’assiette, deux petites confitures: une d’oignons et une de carottes. Par le goût et la texture, cette dernière (vraisemblablement aromatisée) rappelle un peu la pêche. Une tartufade (truffes et olives noires) complète la garniture. À partir de ce moment, ma bière n’est plus de mise; je repousse donc mon verre à moitié plein et décide de m’en tenir à l’eau. Plus qu’affamée, surtout qu’elle n’a pas pris d’entrée, mon amie accueille comme une délivrance ses "fettucine alla salsiccia arrostita". Son couteau entame déjà la saucisse italienne piquante posée sur les pâtes rougies d’une sauce tomate discrètement aillée, accommodée d’oignons et d’herbes, relevée de piments forts dont la présence se révèle progressivement… jusqu’aux dernières bouchées quasi volcaniques. Délicieusement brûlant, tel un péché. Il fait plus calme dans mon assiette de "linguine al nero" – plat qui, depuis un certain temps, me revient en mémoire dès que je pense à ce resto. Il n’est pas moins bon ce soir, mais j’éprouve une petite déception: le fournisseur de fettucine serait-il ces jours-ci en panne… de seiche? Les pâtes sont de la couleur voulue, certes, mais le goût et l’arôme de l’encre de seiche n’ont pas la "présence" à laquelle je m’attends chaque fois. Je parviens à passer outre cette déconvenue, aidé en cela par le dosage irréprochable des ingrédients: soupçon d’ail et de laurier, huile d’olive, vin blanc, échalotes, tomates fraîches et tomates séchées. Et pas une pointe d’acidité pour vous gâcher le plaisir de mordre, de croquer ces pâtes cuites juste à point, de savourer pétoncles et crevettes, de traquer les minuscules palourdes qui jouent à cache-cache avec votre fourchette! Et plus tard, bien plus tard, les cafés nous éveillent sans heurt d’une douce rêverie.
Portofino Bistro
54, rue Couillard, Québec
Téléphone: 418 692-8888
Table d’hôte: 24,95 à 29,95 $
Menu spécial: 25,95 à 31,95 $
Menu du jour: 10,95 à 13,95 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 76,80 $