Il s’agit de bons moyens, évidemment. Si vous déplorez la disparition du menu du jour, la table d’hôte vous en consolera assez vite, et pas seulement parce qu’on en a diminué le coût. On vous présente, on vous décrit avec une fierté légitime une carte qui évolue sans cesse, intégrant de plus en plus de produits de l’île d’Orléans. C’est d’ailleurs avec un de ceux-là que mon invitée se flatte l’appétit, à savoir un verre d’Insula, une mistelle (une vraie, c’est-à-dire à base de raisins) aromatisée au brandy. Dans son verre dansent des canneberges et des bleuets; dans le mien, des cassis givrés flirtent avec les bulles d’un Château Moncontour. Le décor de la salle à manger n’a pas changé, si l’on excepte l’omniprésence des tableaux de Louise Boulanger dont la prédilection pour les poires ne fait aucun doute. D’autres oeuvres de cette artiste ensoleillent, dans une autre aile du bâtiment, un petit salon entièrement rénové… pour le coup d’oeil et l’agrément. Pour l’entrée, je me décide sur un coup de tête? Celle qu’on a servie non loin de moi, juste devant l’une des fenêtres, m’a laissé au passage un parfum… intéressant. Va pour la crème brûlée aux crevettes! Délicieuse, servie dans un petit caquelon carré, elle tient à la fois du flan et de la quiche. Les crevettes nordiques y sont nombreuses, mêlées à une tombée de poireaux aromatisée au pastis. De l’autre côté de la table, mon invitée s’en prend goulûment à l’émincé de canard qui l’avait tant intriguée et qui, maintenant, la ravit. La chair délicatement fumée du volatile n’impose pas trop son goût, et l’on peut apprécier l’harmonie de saveurs qui auraient pu sembler incompatibles: des tranches de betteraves marinées et des cubes d’ananas à la menthe. Cela se mange avec force bouchées de pain frais et de croûtons. Et j’attends la suite de faim ferme. En attendant, je tâte un peu du "potage printanier" servi à mon invitée, en l’occurrence une crème de panais veloutée, elle aussi assaisonnée sans excès. Dehors, le soleil commence à décliner. À l’intérieur, c’est seulement maintenant que je prête l’oreille à la musique d’ambiance: guitare classique en sourdine, ponctuée de loin en loin par de légers tintements d’ustensiles. Après avoir longtemps rôdé parmi les filet de porc en croûte d’herbe poivrée, pavé de saumon sauvage, filet de boeuf grillé et autres tentations, j’avais opté pour la poitrine de pintade. Ma commande passée, j’avais été pris d’un doute… vite dissipé, une fois le plat servi. Au lieu de la sécheresse que j’avais redoutée, j’ai droit à une chair plus que tendre, presque moelleuse, accommodée d’un "jus" de poivrons rouges. Ici, une polenta fine et goûteuse; là, une carotte et une asperge entières (croquantes bien que cuites); là encore, une aumônière de pâte phyllo remplie de cette sauce qui, un peu plus, aurait été trop corsée. Un peu partout, une brunoise courte de poivrons. L’harmonie règne et vous réjouit les papilles. C’est d’un verre de rouge chilien (Shiraz, Errazuriz Estate, 2005) que mon invitée accompagne son médaillon de veau de grain escorté de pommes de terre fondantes et d’une "crémeuse à la moutarde". La viande se révèle d’excellente qualité, cuite dans les règles de l’art. Le résultat s’évalue en soupirs de satisfaction. Toute chose a une fin, dit-on, même la faim. Je vois partir avec regret mon assiette qui avait encore quelques bouchées à offrir. Après, la trilogie des desserts a beau me tenter avec ses deux cuillers et ses fourchettes, je demeure inébranlable. Pendant un certain temps, disons. Une bouchée de gâteau chocolat-noisette, une autre de sorbet aux bleuets et une de ce shooter à l’érable surmonté d’une cerise de terre: je ne peux vraiment pas faire mieux.
Auberge-restaurant Le Canard huppé
2198, chemin Royal
Saint-Laurent, île d’Orléans (Québec)
Téléphone: 418 828-2292
Table d’hôte: 38 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 107,11 $