Aucun succès possible si la matière n’est pas de qualité. En hommage aux producteurs artisans qui les approvisionnent, les chefs Jean-Luc et Frédéric vous le signalent à l’entrée de la carte. On ENTRE en effet dans cette carte – comme dans un univers pavé de surprises et de tentations, sollicité de partout à la fois: foie gras en terrine maison à l’armagnac (mûrie 21 jours), artichaut mariné à la faisselle maison, thon rouge, ris de veau, agneau de lait, pigeonneau, pétoncle cuit au Mycryo (un tout nouveau "beurre" dérivé du cacao)… On ne veut plus en sortir. Il le faut bien, pourtant, ne serait-ce que pour s’intéresser au menu du jour, car c’est l’heure du dîner. Nous avons pris place dans le jardin intérieur aux murs de pierres grises agrémentées de boiseries. Des médaillons évoquant le gibier à plumes s’accrochent à des treillis de bois. Au-dessus de nous pendent de grandes jardinières… "de Damoclès", dis-je pour faire sourire ma compagne. Elle a décliné l’offre d’un apéro, gardant à ses papilles une certaine virginité pour le bon vin qu’elle se promet. Je m’en tiendrai à l’eau. "Et puis?" Question brève signifiant qu’elle a fait son choix, que la faim la tenaille et que je tergiverse trop. J’essaie de me hâter, mais dérape malgré moi en direction du menu "La Découverte"… le foie gras de canard et sa gelée de Cahors, la fine tarte aux cèpes, le carré de cerf. Je rebrousse chemin, ayant raté le saumon mariné à la fleur de sel de Guérande, le carpaccio de cerf, la poêlée d’escargots, le suprême de pintade. Et les gibiers de la page précédente! Et l’agneau!… Le menu du midi se révèle tout aussi… embarrassant, mais, là, c’est ma propre faim qui me supplie de faire vite. Et voilà nos commandes passées, ce dont ma compagne me remercie d’un long soupir. Nous avons à peine le temps de lorgner les tables qui se trouvent à notre portée: potage (crémeuse maraîchère aux herbes), filet de tilapia et pétoncle… Deux assiettes oblongues se posent devant nous: des pré-entrées, si je puis dire. Il y a là un moelleux pétoncle en ceviche et son huile aux herbes, un petit pain brioché, des asperges sauvages couchées sur du saumon sauvage, de la gelée de sauternes, du foie gras enrobé d’une poudre de bleuets séchés… Autant de bouchées, autant de délicates flatteries qui vous prédisposent au mieux l’esprit et l’estomac. Nous n’attendons pas longtemps les vraies entrées. Elles s’amènent, jolies, ragoûtantes. Il s’agit, pour mon amie, d’un bouquet de crevettes nordiques aux pommes et curry. Tendres et frais, les petits crustacés semblent encore tirer avantage de la sauce crémeuse et passementée d’huile aux herbes qui les lie. Pour moi, l’"élégance d’asperges vertes…" Un coulant de tomme des Joyeux Fromagers les drape en partie et déborde sur des tomates confites d’où semble fuir la vinaigrette à la tomate séchée. En dessous, un coussinet de vieux jambon de Parme. Nuancées d’une légère pointe d’acidité, les saveurs se mélangent doucement en bouche et vous les laissez faire. Au service suivant, ma compagne s’octroie d’abord une bonne gorgée de pinot noir (Gargantuavis 2004), puis attaque sans crier gare. Il faut dire aussi que la piccata le méritait, paradant sur son gratin d’épinards avec ses parures de cresson frais, d’asperges, de carotte, de brocoli – et dans son jus réduit qui lui rend bien ce qu’il lui a pris: ses sucs. Imaginez tout cela sur un savoureux risotto, et vous comprendrez que je mets du temps (et des bouchées) à m’intéresser à ma propre assiette, que j’avais accueillie d’un petit cri de panique: "Je ne pourrai jamais!" Mon cuisseau de canard de Barbarie confit et grillé se présente en double. Avec ce qui a précédé, un seul serait déjà de trop. Ce qui subsiste de la peau est mince, soigneusement débarrassé de tout excédent de gras. La chair, en partie rosée, se mouille à ma guise de la sauce servie à part. Le volatile s’entoure de légumes (carotte entière, betteraves…), d’une purée de légumes-racines et d’une purée de pommes de terre bien assaisonnée, formée en croquette et dorée. La faim passée, l’appétit vient à mon secours. Je dois bientôt mobiliser aussi la gourmandise, puis la crânerie. C’est d’ailleurs à cette dernière que je dois un dernier plaisir, celui d’avoir goûté au dessert – un léger et frais entremets à la mangue et aux bleuets et amandes.
Le Saint-Amour
48, rue Sainte-Ursule
Québec (Québec)
Téléphone: 418 694-0667
Menu du jour: 14 à 26 $
Menu "La Découverte": 95 $
Tables d’hôte à partir de 30 $
Dîner pour deux (incluant boissons et taxes): 54,70 $