C’est décidément la période des anniversaires: ce restaurant fêtait cette semaine son troisième – sans tambour ni trompette, mais avec une fierté bien légitime. Pari gagné? Pour le chef Franck Weissmuller, il n’a jamais été question de pari. De coup de coeur, plutôt. Il lui a suffi de "tomber en amour" avec le village de Sainte-Claire et son talent a fait le reste. Le succès fut immédiat; on se réjouit qu’il perdure, entretenu par le bouche à oreille. La clientèle du midi est surtout composée de gens qui habitent la Rive-Sud ou y travaillent. On la retrouve aussi en partie, le soir, quel que soit le moment de l’année, et certains viennent parfois de loin pour redécouvrir des victuailles qu’ils croyaient connaître. "Il y a des régals qu’on n’oublie pas", ai-je déjà dit de cette cuisine. Que nous réserve-t-elle ce midi? Une quiche maison et sa garniture, des pennes aux tomates séchées et olives noires… Nous sommes arrivés un peu tard et le restaurant commence à se vider. Aux deux salles à manger que nous connaissons déjà, nous avons préféré le solarium prolongeant cette grande maison de 1797, entièrement restaurée. Il y flotte encore quelques parfums – tout chauds, dirait-on. Sole farcie, lapin braisé, contre-filet sur le gril… Nous dégustons posément ces fumets avec nos apéros, en l’occurrence un verre de Jackson Triggs et une petite bouteille de Henkell Trocken. Pour prolonger un peu le suspense avant de nous décider, nous demandons à voir la carte du soir – toujours agrémentée des aphorismes de Brillat-Savarin et de Theodore Zeldin. Cela commence par une crème brûlée de homard et sa croquette de crabe à la coriandre, passe par la caille rôtie et son oeuf poché sur mesclun et par une crème brûlée de foie gras et sa compote de pommes. Sur la page suivante, ce sont les viandes et la volaille, la côte de porc poêlée aux chanterelles et sa polenta, le contre-filet de bison aux baies de genièvre et sa galette de maïs, le poisson du moment… "Tu es prêt?" demande mon vis-à-vis. Bien sûr. Prêt, alléché, appâté, affamé, tout ce qu’on voudra. Heureusement que la première assiette ne tarde pas. Il s’agit d’une crème de légumes que j’ai oublié… de ne pas commander. Je l’aurais regrettée en prélevant une petite quote-part dans celle de mon amie. Elle est d’un beau jaune orangé – la crème, bien entendu. Décorée de pousses de chou rouge, savoureuse, onctueuse et même un peu épaisse, elle est de celles qu’on mange pour le plaisir et non, sous la contrainte, pour grandir. Dans la corbeille, devant nous, un choix de petits pains, également maison: blancs, aux olives noires et aux raisins. Nous voici déjà impatients d’accueillir nos plats de résistance. Ils se présentent avec la même garniture: pousses d’aragula, minuscules pommes de terre rôties (presque aussi moelleuses que des croquettes) et chou-fleur gratiné. Dans mon assiette, elle fait escorte à un filet de sole roulé autour d’une farce de bon goût et de fine texture, assaisonnée avec mesure. Une délicieuse sauce homardine vous la nappe de partout, enjolivant l’ensemble et rehaussant la saveur délicate du poisson cuit juste ce qu’il faut. Rien d’excessif, rien à ajouter. Bref, rien à redire. Et rien à cacher, non plus, en ce qui concerne mon amie: son sourire exprime de manière éloquente sa satisfaction. À quoi était son lapin, déjà? Amnésie de circonstance. Ça vous permet de goûter en faisant semblant de vous rappeler. On l’a braisé aux chanterelles et une brunoise courte de carottes émaille sa sauce brun clair au goût soutenu. D’une bouchée à l’autre on se réjouit de l’équilibre des saveurs et l’on s’étonne autant du contraste évident entre les libellés presque laconiques de la carte et leur "réalité" au bout de votre fourchette. Parlant de bouchées, celles que nous nous échangeons, mon amie et moi, se font plus rares à mesure que se vident nos assiettes et nos verres. Notre conversation elle-même s’empreint d’une certaine langueur et il me prend des idées de farniente… Le café qui clôt notre repas n’y change pas grand-chose: une sieste me désire. À l’arrivée des tartelettes aux fraises fraîches qu’on nous amène pour vraiment conclure, elles m’ont bien tenté et j’ai un peu hésité avant de refuser la mienne. Imaginez un fond de pâte tapissé de chocolat noir et un petit monticule de fraises fraîches en quartiers. Et le jus de macération des fruits qui se répand tout autour dans l’assiette… Rien ne m’empêche d’y goûter, tout de même!
Le St-Clair
37, boulevard Bégin
Sainte-Claire (Québec)
Tél.: 418 883-1680
Menu du jour: 13 à 18 $
Table d’hôte: 36 à 41 $
Dîner pour deux (incluant boissons et taxes): 37,60 $