Il faut parfois peu de chose pour vous concocter une ambiance. Une musique de fond, par exemple, ou bien quelques parfums. Mais, ce soir, les haut-parleurs sont muets. Les parfums? Agréables, mais rares et discrets, comme s’ils n’osaient pas trop s’éloigner des assiettes dont ils émanent. Il m’en passe parfois un ou deux sous le nez. Et fugaces, avec ça. Avant l’arrivée des trois clients qui prennent place derrière moi, environ 30 minutes après nous, il n’y a que de l’anglais dans l’air, au point que la jeune serveuse se trompe parfois de langue en s’adressant à nous. Ça se prend en riant, ça fait aussi partie des vacances. Au même titre que les "bubulles": mon verre de Vouvray (Château Moncontour) en est plein. Le décor n’a pas changé depuis ma dernière visite: chic en général. Vitrail et meubles cossus à l’entrée. Dans la salle à manger, un haut cellier coiffé de verdure. Des orchidées (vraies ou non, peu importe) s’épanouissent dans les niches du mur de droite. Les tables sont toujours aussi exiguës, pour autant que je puisse en juger par la mienne et par les plus proches. Et toutes, indistinctement, sont couvertes d’une feuille de papier brun en guise de nappe. Ce détail serait moins incongru dans un petit bistro de quartier… Mais voici mon entrée, joliment présentée: des ailes de canard du lac Brome, dressées et prenant appui sur un petit verre de sauce. La garniture, pimpante, est composée de jeunes pousses vert tendre et de ficelles de betteraves. Le volatile, apprêté à la sauce hoisin et miel, rappelle par son bon goût le canard laqué. Mais, peu dodues, les ailes s’avèrent un peu coriaces – sauf la dernière, dans laquelle on croque avidement. "Enfin de la chair!…" Je savoure autant le pain qui nous a été servi – des tranches d’excellente baguette accompagnées d’un beurre malheureusement trop froid, beaucoup trop froid. Après les tergiversations de routine entre les crevettes et escargots flambés, tartare de saumon, terrine du marché, duo de fondues, soupe à l’oignon et au poireau, mon amie avait fini par se décider pour un "potage du marché épicé" – qu’elle envoie ad patres avec une aisance confondante. "Relevé et très bon", conclut-elle enfin. Elle se commande tout de suite un verre de rouge (Two Oceans, cabernet merlot, Afrique du Sud, 2006). Pour la suite, elle n’a été tentée ni par le saumon du Nouveau-Brunswick, ni par le contre-filet de boeuf, ni par le plat de pâtes au pesto et olives noires. Par le jarret d’agneau, alors? Déjouant toutes mes prévisions, elle a opté pour des côtes levées de sanglier "sur le gril". Grande assiette très belle à regarder, encore une fois! Les côtes levées luisent par endroits, nappées d’une sauce foncée, presque noire et pas trop sucrée, à base de moutarde de Dijon, de sirop d’érable et de vinaigre balsamique caramélisé. La viande est de très bon goût et d’une tendreté extrême. Les légumes qui l’escortent se retrouvent aussi dans mon assiette: brocoli, chou-fleur, jeunes pousses, carottes jaunes et purée de pommes de terre, frites allumettes et un mélange frit d’oignons, de haricots verts et d’amandes effilochées. Au milieu de tout cela trône une bavette de boeuf "sur le gril" que j’attaque avec le sourire qui lui est dû. Réputée pour sa saveur, cette pièce ne l’est pas, en général, en ce qui concerne la tendreté. D’où la vague inquiétude qui m’effleure… et qui se dissipe dès mon premier coup de dents. Pas de nerfs, pas de "tirailles". De la bonne viande saine dont le suc se mêle au beurre d’échalotes qui a fondu sur elle et se répand dans l’assiette, imprégnant un peu les légumes et quelques frites égarées. Tout en mangeant, je prête l’oreille à ce que l’on explique de temps à autre non loin de moi. Je parle des desserts, évidemment: assiette de fruits frais, crème brûlée "comme il se doit" à la saveur du jour, crème caramel et fruit de saison, tarte au sucre maison, duo de sorbets… Alors, quand arrive mon tour de me faire conter pareilles douceurs, mon idée est déjà faite: gâteau fondant au chocolat noir. On me le présente décoré de quartiers de fraises, de tranches fines de pommes et de nectarines et d’un coulis de fruits rouges (mélange de fraises et de framboises, me semble-t-il). Mon amie se rabat sur la crème brûlée à l’orange et, d’un même mouvement, nous cédons sans remords à ces dernières gourmandises.
Restaurant Que Sera Sera
850, place D’Youville
Québec (Québec)
Téléphone: 418 692-3535
Table d’hôte: 29 à 39 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 107,40 $