De gros nuages noirs et gris avaient brusquement assombri le décor. Maintenant, il pleut des poutres sur cette route filant vers l’horizon balafré d’éclairs. Dans l’auto, on ne s’entend même pas commenter ce temps d’apocalypse. Et ça dure… Nous avons failli rater l’entrée, mais, enfin, ça y est. Nous descendons de voiture et, tous deux accrochés au parapluie qui tente de partir au vent, nous nous précipitons. Ouf! Le calme. Et le sourire de bienvenue. Des couples et un client seul occupent la salle à manger égayée de tableaux. Comme la dernière fois, nous préférons nous rendre à la véranda dont les vitrages donnent vue sur l’immense terrain paysager qui s’étend derrière la bâtisse. Trois couples nous y ont précédés. Des vacanciers, de toute évidence: ils semblent avoir déjà pris le rythme du farniente. Impossible de savoir ce qui se mange ici ou là, car les parfums sont pour le moment discrets. Une agréable odeur de pain frais y domine. Je me fais servir en apéro un verre de blanquette de Limoux (Sieur d’Arques), tandis que mon amie se commande un carafon de La Bastide, sauvignon d’importation privée et embouteillé pour l’auberge. Nous avons droit aux amuse-gueule – ou plutôt aux "amuse-bouche", pour employer cette pudique terminologie qui s’impose de plus en plus. Il s’agit de deux petits carrés de saumon fumé relevés d’une crème de moutarde. Délicieusement apéritifs!… La carte? Matinal ou plutôt réveillé, vous vous attarderez à son côté bistro. Moi, c’est la curiosité qui m’y retient un instant. "Becs à sel", "Becs à sucre", "Becs faim" et "Becs fins": autant de menus vous amenant progressivement des oeufs au plat et Bastidou jusqu’au "saumon de Marco" ou au filet de doré pané au lait d’amandes. À l’heure qu’il est, ce sont les menus "Terroir" et "Savourez Portneuf" qui nous concernent. Deux jeunes serveuses nous les présentent, nous les racontent littéralement. Je craque immédiatement pour le velouté de pleurotes; mon amie choisit plutôt la soupe aux fraises qu’elle a vu servir à l’une des tables voisines. J’envisage du poisson pour après – flanc de perroquet cuit à l’unilatéral -, mais la viande l’emporte, je n’y peux rien. Quelques gorgées de vin, quelques phrases échangées sur le temps qui se calme, l’orage qui gronde moins fort, et nous voilà servis. Je commence par des aiguillettes de canard fumé en vinaigrette tiède à l’huile de noisettes. Elles s’accompagnent d’une tombée de fenouil aromatisée aux agrumes. Endives et pousses de betteraves composent la garniture. Nos potages s’amènent un peu plus tard. Décorée d’une hémérocalle, la soupe froide est d’un rose soutenu. Son goût est celui des fraises fraîches – à peine cueillies, dirait-on, pas vraiment acides et pas trop sucrées. Elle vous pave soyeusement la voie pour la suite. Pour moi, le velouté de pleurotes. Un baume! Quelques gouttes d’huile de truffes y nuancent la saveur unique des champignons. Il en résulte un goût évoquant vaguement une bisque d’écrevisses. Nos appétits battent de l’aile, alors que le principal est à venir… est déjà là. Une flambée de crevettes tigrées au pastis se pose doucement en face de moi. Des poireaux frits lui font une chevelure hirsute et dorée. Des tomates cerises et des cubes d’ananas grillés émergent de son lit de linguines. Bien que je ne sois pas amateur de pasta, j’admets sans peine qu’il s’agit là d’un mets susceptible de convertir les plus réfractaires dès la première bouchée. Je me rends d’ailleurs jusqu’à la troisième, appréciant à tour de rôle l’assaisonnement "retenu" de l’ensemble, la variété des textures et la complicité inattendue des saveurs. Et une quatrième, tiens! pour synthétiser tout cela. "Très bon choix", dis-je à mon amie, avant de m’intéresser à ma propre assiette. J’avais jeté mon dévolu sur le filet de wapiti. Il occupe le milieu de l’assiette. Autour, une succulente poire du Japon pochée au vin chaud et au "E5 d’Alixir", de savoureuses asperges au lard (pas trop salé). La viande! Tranchée dans le sens de l’épaisseur et refermée en sandwich sur une crème de marrons, elle jute doucement dans l’assiette. Elle jute aussi en bouche et se révèle sous la dent d’une extrême tendreté. Son souvenir me suffira comme dessert. Plus une petite pointe de la "tartelette Passion" au chocolat noir à laquelle mon amie ne pouvait dire non: c’est son anniversaire, après tout.
Auberge La Bastide
567, rue Saint-Joseph
Saint-Raymond (Québec)
Téléphone: 418 337-3796 et 1 877 337-3796
Menu du jour: 9,95 à 15,95 $
Tables d’hôte: 25 et 40 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 106,90 $