Ce soir, je qualifierais ma curiosité de sereine. Intrigué par certaines rumeurs de "changements" survenus dans cet établissement, j’ai rameuté les bons souvenirs qu’il m’avait laissés. Nous y voici, donc. La salle à manger de l’étage est bondée; dans celle du rez-de-chaussée, les rares tables libres sont réservées. La nôtre en fait partie. De la rumeur bilingue des conversations – tourisme oblige – émergent des accents parisiens. Mon amie détaille posément le décor, particulièrement les oeuvres du peintre Godro illuminant les murs de pierre et de brique. Tout à coup, elle dit: "Un apéro avant toute chose…" Je complète à mi-voix, paraphrasant Verlaine: "…et en cela tu préviens l’impair." L’un des serveurs est à notre table, nous écoute un moment, s’en va, puis nous revient les mains pleines. Nous levons bientôt nos verres – gewurztraminer (Alsace, 2004) et Pommery. À quoi? À la "Saveur des saisons" et à la "Création, passion" du chef Stéphane Roth, aux cuisses de grenouilles poêlées, au wapiti sauce aux morilles… à tout ce qui nous fait envie sur la carte grande ouverte. Impossible de fixer longtemps son attention. Sollicitée par le parmentier d’épaule de cerf confit, elle dérape vers le pavé de doré en mosaïque de légumes, se cabre en direction du jarret de sanglier aux lentilles, bute sur les ris d’agneau braisés avant de s’échouer sur un filet de tilapia poêlé… De faim ou d’épuisement, sinon des deux à la fois, nous finissons par commander. Mon amie commence par une "Déclinaison de pétoncles": l’un des mollusques, grillé, se pare d’une "mousseuse de palourdes" à l’huile de truffes; un autre, fumé, s’accompagne d’une compote de rhubarbe et le dernier, poêlé, a été relevé d’une crème de chorizo. Ça vous a des airs de banquet, parole! Et la variété de saveurs qu’on est certain d’avoir espérée! Moi, j’ai pris prétexte de mon Pommery non terminé pour commander la "Symphonie de foie gras". Un pur bonheur! Il se savoure, lui aussi, en trois temps ponctués de pauses béates: d’abord poêlé, il repose sur une escalope de ris de veau posée sur une "tartine de brioche" elle-même coussinée de chutney d’oignons au vin rouge; puis c’est le "classique au torchon" accommodé d’un caramel de cidre de glace du Domaine Pinnacle; enfin, poché, il vous arrive dans une crème brûlée aux cèpes dont on ne laisse rien subsister dans le caquelon. Mon vis-à-vis enchaîne un peu plus tard par une bisque de homard crémeuse, d’un rose sympathique, au milieu duquel émerge un rouleau (façon nem) farci de légumes étuvés (bien assaisonnés) et empanaché d’une "mousseuse de cresson". Beau à regarder, joyeux en bouche! On croit passer sans heurt du moelleux au solide. La bisque, quoique serrée, ne révèle aucune amertume. Ensuite, le granité. Délicieusement tropical. Mangue, ananas, rhum et vanille conjuguent leurs vertus pour vous rénover les organes de la gourmandise. Mon amie se commande un verre de sauvignon blanc (Katmook, Australie, 2004). Alors se pointe la brochette de crevettes géantes (enfilées sur une tige de citronnelle), escortée d’une langoustine poêlée, posée sur un petit risotto safrané (aux fruits de mer) qui veut être de toutes les bouchées. Purée de céleri-rave et mini bok choy en sont les délicieux faire-valoir. Décidément, je passe trop de temps dans l’assiette qui n’est pas la mienne! La seule vue de mon caribou Rossini me flanque les chocottes. "Je ne pourrai jamais…" me dis-je. Mais on m’a assez répété que l’important est de participer. C’est ce que je fais, avec la douce complicité d’une sauce au porto bien serrée. Lamelles de truffes noires, escalope de foie gras, brioche, autant d’étages attaqués d’une fourchette sûre, tandis que le couteau entame l’essentiel et me le livre en petits cubes juteux, rosés-grillés, succulents. Tomate, pâtisson, tronc de courgette farci et purée de pommes de terre aux lardons font partie du paysage, mais ne mobilisent pas outre mesure mes énergies. Et ce que je redoutais se manifeste: la tristesse. Quand je vois repartir mon assiette… avec encore de la viande dedans! Après cela, je tâte à peine de la crème brûlée au chocolat blanc accompagnant la soupe de fraises au poivre vert. Par simple curiosité.
Restaurant Le Patriarche
17, rue Saint-Stanislas
Québec (Québec)
Téléphone: 418 692-5488
Table d’hôte à partir de 37,95 $
Menu "Saveur des saisons": 28,95 $
Menu "Création, passion du chef": 78 $
Menu du jour: 12 à 19 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 184,20 $