La pièce n’a plus cette fantaisie de maison-jouet qui nous avait amusés, il y a quelques années. Un restaurant irlandais occupait alors les lieux et l’avait marqué à sa façon: touches de vert, appliques de trèfles, affichettes, cadres et annonces de bières. À cette adresse loge maintenant une crêperie-bistro bretonne. Nous sommes donc encore un peu dans le celtique. Entre les deux établissements, il y a eu au moins un "intermède" (végétarien, je crois). Les couleurs dominantes sont encore les mêmes: mur de brique, murs saumon, plafond rouge. Subsiste aussi, au fond, sur la droite, une micro-mezzanine meublée de quelques tables et d’une petite bibliothèque. Des clients y sont installés et mangent sans hâte. Nous avons plutôt pris place "en bas", près du bar, plus près des odeurs encore discrètes qui, d’une certaine manière, participent au décor. Une carte de la Bretagne donne le ton. Des tableaux noirs suggèrent des boissons. Mon amie me fait face, tournant le dos à une cliente qui se régale en même temps d’une crêpe et d’un bouquin. Près des portes-fenêtres donnant vue sur la rue, un jeune couple… Le serveur vient nous proposer un apéro. Émergeant de ma semi-rêverie, je me renseigne sur les cidres disponibles, questionne, hésite. Nous goûtons, pour mieux choisir, le Mystique (québécois et pétillant) et le Kerisac (breton et tranquille). Ce dernier l’emporte en raison de son fruité subtil. Que mangerons-nous? La carte, plastifiée et bien ordonnée, nous présente les "Traditionnelles" au beurre, à l’oeuf, au fromage suisse, aux lardons et oeuf, au fromage et légumes grillés… Nous passons un peu plus de temps parmi les "Spécialités": "La Savoyarde", "Le Béarn" (canard confit, épinards, fromage de chèvre, confit d’oignons), "Le Quimper" (fromage suisse, sauce aux champignons des bois), "La Quiberonnaise" (fromage suisse, saumon frais, fenouil braisé, sauce béarnaise), "L’Orientale" (merguez), "Le Dolmen" (roquefort, pacanes, pignons, tomates et pommes), etc. La marge de droite est réservée aux suppléments – andouille, pétoncles, asperges, sardines et autres. Tandis que nous jasons, trinquons, hésitons sur les choix à faire, d’autres clients sont arrivés – dont un groupe de cinq – et ont passé commande. Dans la pièce, les odeurs se sont amplifiées, dirait-on. Notre appétit aussi. Quelques minutes plus tard, nous sommes servis. Sages. Oui, des crêpes sages: chacune, soigneusement pliée et rigoureusement carrée, semble encadrée par la bordure blanche de l’assiette. Notre faim a bientôt raison de cette belle symétrie. Pour moi, "La Cancalaise", garnie d’une fondue de poireaux qu’entourent trois gros pétoncles – gros au point que la maison les surnomme familièrement "tranches de baleine". Ces mollusques sont malgré tout moelleux, goûteux, exempts de fibres… stressées. Et aussi bruns, aussi dorés que la pâte au sarrasin, largement nappée de beurre blanc au citron, qui couve dans ses replis les lardons que j’ai demandés en supplément. Belle et multiple alliance de saveurs franches! Et hop! une autre lampée de Kerisac pour fêter ça. Mon amie, elle, a choisi "La Savoyarde" aux pommes de terre, oignons, lardons, gratinée de Migneron. En demandant du saumon fumé en supplément, elle a laissé entendre qu’elle voulait tenter une expérience un peu "anarchique". Le résultat n’a pourtant rien d’étrange: les goûts tirent le meilleur parti de la situation et les papilles n’ont qu’à laisser venir et se régaler. Chaque gorgée de cidre provoque un effet de "on efface tout et on recommence". Pour le plaisir de redécouvrir. Jusqu’à l’inévitable "j’en peux plus" qui me désole d’autant plus que j’avais déjà, mentalement, choisi un dessert parmi les kuigns (kouigns) à la farine de froment – sortes de crêpes-gâteaux cuites elles aussi sur le billig. Nous voyant hésiter, notre serveur nous encourage à tâter du sucré… Beurre et sucre, sirop d’érable, chantilly, chocolat… Nous nous décidons enfin pour "La Salidou" pliée en quart de cercle, nappée de caramel au beurre salé et garnie de trois pompons de crème chantilly. Ça se mange tout seul. Heureusement. Car, moi, je n’aurais pas pu.
Le Billig
526, rue Saint-Jean
Québec
Tél.: 418 524-8341
Crêpes traditionnelles: 3,50 à 7 $
Spécialités: 7 à 16 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 56,36 $