On ne dira jamais trop de bien des artisans de bouche – quand on le pense et qu’ils le méritent, bien sûr. L’"homogénéisation", qui semble vouloir tout profaner, en épargne encore quelques-uns. Le Canard goulu est de ceux-là, comme je l’ai constaté dès les débuts de cette entreprise, comme je le constate encore chaque fois que me tombe sous la main un de ses produits. Dans sa boutique-resto ouverte à Sillery, en juin dernier, on fait provision de rillettes, pâté de canard, magret fumé, canard confit, etc. À peine quelques jours avant d’y aller pour un repas, je me suis fait le plaisir d’une sauce à spaghetti… de luxe: épaisse, goûteuse, copieusement tomatée, avec juste une pointe d’acidité pour rappeler à l’appétit qu’il doit venir en mangeant. Avec aussi, en plus, de bonnes boulettes de viande… pardon, de chair, puisqu’il s’agit de canard. Plutôt que le "Brunch tout canard" du samedi, nous choisissons par manque de temps celui du dimanche. On traverse un peu de biais la boutique, non sans un regard pour la petite étagère à épices et pour les plats cuisinés qui patientent au frais. Des clients regardent, touchent, examinent… Au haut de l’escalier, une fenêtre nous fait face, un peu cachée par les jardinières tombant du plafond. Tout près, un chevalet et un tableau noir détaillent le menu du brunch et les plats à la carte: bol de fruits, oeufs, yaourt, galantine, croissants, saucisses, fèves… À droite, entre les deux portes conduisant aux cuisines, un miroir propose à son tour le menu du midi: potage, assiette de charcuterie, panini de galantine, étagé de canette rôtie, fromage de chèvre et pesto de tomates séchées, escalope de foie gras à la poire et cardamome. Une jeune serveuse souriante s’est déjà précipitée et nous explique la "formule" qui tient à la fois du resto et de la cafétéria. Dans la cuisine, j’aperçois en premier lieu deux canards entiers qui se font lentement rôtir à la broche. Je ne peux m’empêcher de humer – pas trop fort, pour ne pas attirer l’attention, mais avec insistance. Derrière le comptoir, deux cuisiniers s’affairent, fouettant des oeufs, enfournant une cassolette. Notre commande passée, nous gagnons la petite salle à manger bien éclairée que je qualifie spontanément de "rustique chic". Un large pan de briques rouges interrompt, sur la droite, le mur blanc où s’accrochent de petits panneaux – "Ballotine de dinde", "Cèpes au naturel" ou bien "PARIS", "ROME", "NEW YORK"… L’oeil s’immobilise ensuite sur une grande affiche de film peuplée de canards: Le Bonheur est dans le pré. Pour le moment, il se retrouve, ce bonheur, dans la petite assiette constituant mon entrée, à savoir une tranche de galantine de canard – que j’aurais souhaitée un peu plus généreuse, surtout qu’elle a bon goût et fait en bouche un heureux ménage avec le confit de poires à la cardamome servi en garniture. Une tranche d’orange complète la présentation. Mon amie m’en déleste prestement, puis s’en va choisir un peu de lecture sur un meuble où s’alignent Le Canard enchaîné, Saveurs et autres périodiques. Je me suis aussi commandé un jus de pomme, pur et frais. Du côté de la rue, la salle à manger se prolonge en un balcon-verrière meublé de tabourets. Le soleil y entre à flots, des gens y mangent – adultes et enfants. Je n’ai pas terminé mon entrée que la serveuse nous apporte le principal. Du coup, notre table me semble encore plus exiguë qu’auparavant. J’avais opté pour la brouillade d’oeufs au magret fumé. Ce dernier, finement tranché, révèle un petit excès de sel dont je me serais passé et qui me dissuade de le manger seul. Moelleuse, légère, la brouillade d’oeufs est au camembert et tient dans une "cassolette" de pâte filo. J’ai aussi droit à des rôties et à des pommes de terre rissolées dans de la graisse fine (de canard, évidemment). Une gorgée de thé Kusmi, et ma compagne entame son repas. D’une bouchée à l’autre, elle se permet la fantaisie d’une hésitation entre l’oeuf au plat, les saucisses de canard (délicieuses!), les fèves, onctueuses, garnies de vrais morceaux du même volatile, les pommes de terre identiques aux miennes et la pointe de tourte qui me fait dire: "Si j’avais su…" Nous n’avons pas hâte de terminer, mais la fin des meilleures choses arrive toujours trop vite, et mon bol de yaourt au coulis de fraises et sirop d’érable ne m’en console pas.
Le Canard goulu
1281, avenue Maguire
Tél.: 418 687-5116
Brunch à la "Goulu": 11,95 et 14,95 $
Mets à la carte: 3,50 à 13,95 $
Repas pour deux (incluant boissons et taxes): 24,95 $
Légende /
grande table : 5 étoiles
très bonne table, constante : 4 étoiles
bonne table : 3 étoiles
petite table sympathique : 2 étoiles
correcte mais inégale : 1 étoile