Ce soir, je découvre mes papilles nostalgiques d’un tartare aux deux saumons qui, la dernière fois, m’avait détourné de mes premières envies – fondant de foie ou terrine de gibier, je ne sais plus. À notre arrivée, l’accueil avait été, comme toujours, chaleureux, jovial même. Près d’une fenêtre donnant sur la rue Saint-Paul, un jeune couple conversait tout bas en mangeant. D’autres clients, ici ou là, en étaient au mets principal ou au café. Nous avons tôt fait de nous installer près d’une petite tablée franco-anglaise dont les premiers plats n’allaient pas tarder. Pour l’instant, nous venons de lever nos verres d’apéro (Sleeman et Gros Manseng-Sauvignon 2006) pour nous dire "à la tienne!" sur fond musical de guitare classique. Comme une obsession me revient le souvenir du fameux tartare, au point que je tarde à choisir ce qui devra suivre mon entrée. Mon amie n’est pas plus avancée. Elle détaille le décor, notant et commentant ce qui a ou non changé depuis notre dernière visite. Sur la colonne centrale, un tableau laminé représente une grande bouteille de Ricard. À sa place ou tout autour de lui, novembre et décembre ramèneront la traditionnelle collection de santons de Provence. Nous reconnaissons, sur les murs de vieilles briques, les oeuvres de Didier Robert, la Montée du Château et le Clocher de St-Tropez. Notre serveur s’affaire à la table voisine, nous émergeons de notre semi-rêverie. Un simple coup d’oeil à la carte suffit à ma compagne pour choisir une entrée. Elle en profite pour s’interroger tout haut – par acquit de conscience, dirait-on, car elle semble avoir déjà pris une décision en ce qui concerne le reste. Elle s’intéresse maintenant à la carte des vins. Entre-temps, je pourrais me permettre une comptine – Am, stram, gram… Puis, je pointerais du doigt quelque chose sans craindre de mal tomber: bouillabaisse du chef et sa rouille, carré d’agneau au parfum de thym, magret de canard aux pêches ou à l’orange, linguine aux crevettes de Matane ou au pistou… Nos commandes passées, nous bavardons un peu de tout et de rien. La guitare invisible nous joue maintenant Recuerdos de la Alhambra et nos entrées s’amènent. Mon amie accompagnera la sienne d’un vin liquoreux (Les Premières Grives, Domaine du Tariquet 2006) dont elle a déjà pris une timide gorgée. Dans son assiette, des raisins secs, attendris par la chaleur, s’éparpillent autour d’un fondant de foie au porto qui vous épargne tout effort, vous tapisse la langue et se faufile partout où cela fait du bien. Les saveurs se répondent, se relaient. Mon tartare! C’est bien lui: saumon frais et saumon fumé – le premier, peut-être un petit peu trop frais (en termes de température); le second, un peu moins salé que la dernière fois, ce dont je me félicite (bien que je n’y sois pour rien). L’assaisonnement est un modèle d’équilibre… Je m’en évade de temps à autre, le temps d’une bouchée de salade. Le fondant disparu, un potage de courgettes lui succède, étoilé de graines de pavot, onctueux et chaud, délectable. Il disparaît à son tour et mon vis-à-vis n’attend pas longtemps son "arrivage du jour", en l’occurrence une belle portion de bar noir du Chili généreusement mouillée d’huile de basilic. "Ça sent le bonheur", dis-je. "Du bonheur en… bar", rigole mon amie en s’octroyant une rasade de rouge biologique (Château la Lieue 2006). Avant de me soucier de ma propre assiette, je tiens à goûter un peu. Mon prétexte, tout trouvé, a l’allure d’une interrogation: comment le goût de l’assaisonnement a-t-il pu se rendre jusqu’au centre de cette… épaisseur? Encore perplexe, je remets ça. Il faut dire aussi que le poisson présente toutes les qualités de finesse, de couleur et de fraîcheur qu’on en attend. Moi? Fidèle! Ce soir encore, j’ai demandé des ris de veau forestière, moelleux et dorés, luisants de leur sauce brune étalée dans l’assiette jalonnée de champignons tranchés. Purée de carottes et de panais, gratin dauphinois et chou-fleur constituent la garniture, comme dans l’assiette qui fait pendant à la mienne. Nous terminons nos assiettes en silence, un silence filigrané de flamenco. Nous commençons par bouder les desserts, pour la forme, avant de nous laisser enjôler par une crème catalane mâtinée de pastis.
Mistral gagnant
160, rue Saint-Paul
Tél.: 418 692-4260
Menu du jour à partir de 10,95 $
Table d’hôte: 21,95 à 34,50 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 105,10 $
Légende /
grande table : 5 étoiles
très bonne table, constante : 4 étoiles
bonne table : 3 étoiles
petite table sympathique : 2 étoiles
correcte mais inégale : 1 étoile