Restos / Bars

Le Pain béni : En état de grâce

Le Pain béni reste un exemple de constance dans un quartier où l’afflux des touristes incline parfois à la facilité.

"Un charmant resto nous est né": je l’avais présenté en ces termes, quelques mois après son ouverture, il y a un peu plus de trois ans. Le moindre plat attestait la ferveur qui régnait alors dans les cuisines et qui, depuis, ne s’est pas démentie. Quand chacune de vos visites ravive les bons souvenirs de la précédente, elle vous fait aussi anticiper les suivantes…

Contrairement aux dernières fois, nous nous sommes attablés dans la première partie de la salle à manger, près des fenêtres donnant vue sur la rue Sainte-Anne. Nul besoin de trop tourner la tête pour embrasser du regard le bar et, plus à gauche, la cuisine vivement éclairée. Le décor ne semble pas avoir changé – mur de brique, tableaux, lampes à motifs -, contrairement à la carte récemment remaniée. Je lève mon verre de Beck’s en son honneur. Comme d’habitude, la brève description des plats, certains mariages et certains rapprochements intriguent. Une vinaigrette à la bière sur une salade d’épinards tièdes et de légumes sautés? Pourquoi pas? J’en dis autant de la morue noire sautée et sa rouille, accompagnée de haricots blancs à la tomate et au chorizo. Euphorisés par un discret parfum de truffes qui flotte dans la pièce, nous prenons bientôt plaisir, mon amie et moi, à nous lancer des noms de plats sous forme de dialogue mi-interrogatif: médaillon de cerf rouge grillé à la gelée de pommettes et canneberges; magret d’oie rôti au piment de la Jamaïque (lait de coco, gingembre, chutney de kiwi à la coriandre); risotto au homard et parmesan; croustillant de boudin noir et mamirolle à l’anis étoilé… Ainsi se titille-t-on l’appétit qui finit par se muer en faim… presque atroce.

Deux amuse-gueule arrivent à point nommé: du tartare de saumon et, pour moi, une tranche d’avocat drapée de saumon fumé maison. Des tranches de fraises garnissent les deux petites assiettes. Il va sans dire que nous ne tardons pas à passer commande. J’ai choisi en entrée des ris de veau poêlés au cacao et à l’anis – grosses noix dorées, nettoyées avec soin, posées sur une tatin aux pêches avec, pour le coup d’oeil et pour le goût, un caramel de grenade (que la carte nomme en franglais "pomme grenade"). Heureusement que cela se mange en plusieurs bouchées: j’ai donc la possibilité de me convaincre que ce petit bonheur n’est pas une illusion. Pas virtuelle non plus, la "fondue à la tomme du Manoir" choisie par mon amie. Un petit vol-au-vent garni de canard confit effiloché se dresse au milieu de cette fondue épaisse et d’un vert appétissant. Dessus, du blanc de poireau lui aussi effiloché et frit. Imaginez en plus quelques gouttes d’huile de truffe qui vous encensent tout cela… Bon? Mieux que cela. Un nuage nous porte. Mon amie résume cela autrement: "La barre est haute!" Elle repousse son assiette et s’octroie une nième gorgée de vin (Minervois 2005, cellier Jean d’Alibert). Nous n’avons dès lors qu’une hâte: passer aux plats suivants. Dans ces moments-là, on redécouvre les autres tables, on essaie de deviner ce qui s’y mange, on imagine, on déduit… et nous sommes de nouveau servis.

Le millefeuille de crêpes au crabe s’étage, harmonieusement dressé, appétissant et coloré. Rien ne dépasse, ne tombe ou ne détonne. Crème sure, oeuf dur, coulis d’épinards et aneth lui donnent le meilleur d’eux-mêmes en fait de texture et d’arômes. J’y muserais bien un peu, mais j’ai sous les yeux un "sauté de pétoncles au beurre noisette et miso" qui s’impatiente. Il se présente sur une large et mince raviole de foie gras au chou-fleur imprégnée d’un coulis de fenouil. Il y a là des asperges entières, croquantes, et aussi des pousses d’aragula qui prennent d’assaut ma fourchette. Rien à redire de ces saveurs qui filent le parfait bonheur et me le font partager. Par contre, au risque de choquer les puristes, j’aurais fait cuire davantage la raviole. Son excès de "croquant" ne me trouble pas outre mesure, surtout que ses alliés, dans l’assiette, s’emploient à me satisfaire.

Au moment où nous songeons à partir, "la maison" insiste pour nous offrir "un petit bout de sucré". Après y avoir goûté, nous nous en voulons d’avoir même songé à refuser. Deux nems au chocolat noir et à la menthe, deux truffes au chocolat blanc et à la pistache, plus une salsa de fruits épicés et une sauce au chocolat: qui aurait une autre définition du bonheur?

Le Pain béni
24, rue Sainte-Anne
Québec
Téléphone: 418 694-9485
Menu du jour à partir de 11,95 $
Table d’hôte à partir de 25 $
Souper pour deux (incluant les taxes): 83,18 $