Aucun rapport avec ces établissements où tout semble mis en oeuvre pour intimider le client: accueil frisquet, service grave et solennel, assiettes acrobatiques et j’en passe. Une fois franchi le seuil de cet élégant restaurant, une sensation de légèreté vous envahit. C’est que, sans même vous en rendre compte, vous avez laissé au vestiaire les soucis, la fatigue et tout ce qui, peut-être, vous barbouillait l’humeur. Le service? Souriant, attentif, cordial… comme si vous étiez le seul client. Pourtant, ce soir, couples et petits groupes essaiment dans la grande salle à manger où s’égarent de furtifs parfums. Lillet rouge et kir mousseux au cassis de Mona et filles (île d’Orléans): nos premières gorgées d’apéro nous tirent nos premiers soupirs de satisfaction. Nous commençons par survoler les trois menus – "Cuisine du jour", "Dégustation gourmande" et "Classiques contemporains". À une table voisine, quelqu’un évoque le tartare de foie gras, que je m’empresse de repérer sur la carte. Il précède le pétoncle rôti aux épices, la crème de céleri à la truffe de M. Gaillard et la poitrine de canard de la ferme Goulu. Sur d’autres pages, d’autres tentations: poitrine de caille rôtie, escalope de foie gras, thon rouge et épinards au parmesan, médaillon de cerf des Appalaches frotté au poivre Sarawak, agneau de la ferme Saute-Mouton… On nous amène des amuse-gueule, en l’occurrence deux onctueuses petites gougères et des pets-de-nonne au miel. Cela calme un peu l’estomac, mais excite nos appétits déjà bien éveillés. Notre lecture se poursuit, ponctuée de questions que nous nous posons l’un à l’autre ou à un membre du personnel. "Si je m’écoutais…" Sans attendre la fin de ma phrase, mon amie complète: "Tu prendrais tout!" Le temps passe ou s’étire, je n’en sais rien, mais nous l’occupons agréablement en dégustant les mises en bouche qu’on vient de nous servir: morue et pommes rates à l’aneth dans un bouillon de boeuf, plus une délicatesse de saumon (mariné à l’aneth) et d’huîtres du Nouveau-Brunswick (sauce à la vodka). Nous finissons par commander. Puis c’est la "virée" entre les pages d’une carte des vins raffinée, intelligente et variée. La plupart des bouteilles y sont d’importation privée. Pour accompagner son entrée, mon amie se laisse conseiller un vin du pays catalan (Empreinte du temps, domaine Ferrer Ribière, Roussillon, 2005). Ladite entrée est un pressé de ris de veau aux cèpes, mousseline de foie gras, crème de noix et pâte de figues à la tartufade, escorté d’un cake au jambon et abricots. C’est là un concert intime de saveurs qui se plaisent et vous font partager leur félicité. J’ai pour ma part choisi le tartare de foie gras au verjus, cake au jambon et abricots, champignons vinaigrette et sirop de grenade. Là aussi, les textures et les goûts s’allient, contrastent et se réconcilient. D’une bouchée à l’autre, le plaisir est à la fois intense et subtil, sans être exactement le même. Nos assiettes reparties, on nous sert de l’inattendu – "pour goûter". Il s’agit, pour moi, de trois amuse-gueule à l’agneau: beignet planté d’un bâtonnet de cannelle, pavé, farce sur confit d’oignons. Pour mon amie, du filet d’escolier dans une fondue de poireaux et une bisque de crustacés. Du coup, nous gagnons quelques degrés supplémentaires à l’échelle de l’euphorimètre. Un chardonnay australien (Adelaide Hills, Rockbare, 2004) vient nous charmer les narines. On nous l’a recommandé pour la suite, soit le blanc de flétan cuit doucement au beurre de romarin choisi par mon amie. On le dit "fini à l’aiolli et coeur de chou blanc aux olives séchées, réduction de crème citron et balsamique", mais cela fait déjà un bout de temps que nous n’analysons plus. Mon plat de résistance est constitué de morceaux de cochonnet (ferme Saint-Canut): flanc (croustillant) et côtelette frottés de sel de Maldon, polenta aux champignons, rutabaga façon pickles et vinaigre Bovetti. Assaisonnée de main de maître, la viande est d’un rosé appétissant et se révèle particulièrement tendre et savoureuse. Nous nous laissons flotter dans une espèce de béatitude, accostant de loin en loin la réalité pour échanger quelques mots et souffler un peu. En fin de soirée, nous nous inventons une minuscule place pour caser un peu de fromage (14 Arpents et Le Petit Sorcier) et une salade d’endives. Et, au moment du café, nous n’avons pas le courage de dire non à l’arrivée de quelques douceurs: macarons, truffes farcies à la crème de goyave, fondant chocolat et poire… Une guitare joue en sourdine Maxixe, d’Agustin Barrios Mangoré. Le bonheur nous va bien.
Restaurant Initiale
Relais & Châteaux
54, rue Saint-Pierre
Québec (Québec)
Téléphone: 418 694-1818
Menu du jour à partir de 17 $
Menu "Cuisine du jour": 64 $
Menu "Dégustation gourmande": 97 $
Ses vins d’accompagnement: 67 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 225,19 $
Légende /
grande table : 5 étoiles
très bonne table, constante : 4 étoiles
bonne table : 3 étoiles
petite table sympathique : 2 étoiles
correcte mais inégale : 1 étoile