Nous avons pris le risque d’y aller sans avoir réservé. À première vue, aucune chance de trouver une petite place: la salle est bondée – plusieurs fois bondée, pourrait-on dire, parce que les miroirs nous la renvoient multipliée par cinq. Il y a même des clients qui mangent "attablés" au grand comptoir délimitant le bar. Certains feuillettent des magazines en attendant d’être servis; d’autres nous jettent de brefs coups d’oeil, l’air de se demander si nous allons persévérer ou tourner les talons. L’un des serveurs, au loin, nous indique d’un signe qu’il nous a vus. Il s’amène peu après, nous assure qu’une table se libère sous peu et nous débarrasse de nos manteaux. Soulagés, nous sommes, mais bougrement affamés, l’attention sans cesse attirée par la trajectoire d’une fourchette ou par une assiette que l’on sert. Et puis, nous repérons la table qu’on nous prépare, à un mètre ou deux de l’immense cellier occupant le fond de la pièce. Une serveuse nous y installe bientôt, nous amène de l’eau et le menu du jour. "Ça sent bon partout", murmure mon invitée, lorgnant justement partout, comparant ce qu’elle voit autour de nous avec ce qu’elle lit sur la feuille posée devant elle. De la crème de champignons à la tomme de Kamouraska et caramel de cidre, la route n’est pas longue, mais nous nous y attardons de bon gré, dégustant les mots que nous nous répétons. Qu’est-ce qui fait saliver le plus? La nage de pétoncles à la mousseuse d’asperges ou bien le carpaccio de biche? Pour ma part, ce dernier l’emporte. Il me reste à choisir entre l’osso buco à l’ail rôti, le steak frites, la bavette de boeuf, les farfalles à la courge butternut et fromage de chèvre… Mon invitée se fait servir un verre de sauvignon blanc (Domaine du Tariquet) et, le temps d’hésiter entre l’omelette au jambon et le carré d’agneau, elle choisit contre toute attente le couscous de poissons. Elle souhaitait commencer par la crème de champignons; d’autres ont eu l’idée avant elle, il n’en reste plus. On lui propose en remplacement un bouillon d’agneau à la coriandre, chaud, empanaché d’une légère vapeur parfumée. Morceaux d’agneau et petites boulettes d’agneau en font un mets consistant et de bon goût. Elle cesse de manger avant d’avoir vidé son bol. "Si je termine ça, je ne pourrai rien avaler d’autre…" De son côté, mon carpaccio de biche se défend bien. Joliment présenté en fines tranches circulaires, semé de copeaux de parmesan et de pousses de radis, il laisse à peine déceler le goût de la vinaigrette à l’argousier dont on a délicatement assaisonné la viande rouge et saine. Il ne me tient donc pas tête. Nous n’attendons pas la suite bien longtemps. J’ai pris le tartare de saumon, l’une des incontournables spécialités de la maison. On l’a façonné sous la forme de trois gros "oeufs". Des frites garnissent un côté de l’assiette, délicieuses et accompagnées d’un petit pot de mayo maison. De l’autre côté, une salade à laquelle je m’intéresse par simple curiosité… et à laquelle je reviens par goût: endives rouges, laitue, feuilles de chêne, ficelles de carottes. Le tartare? Sublime, comme d’habitude. Poisson grossièrement tranché, comme il se doit, câpres, moutarde et tous les petits secrets de la maison, si intimement liés qu’on n’est plus sûr de rien, sauf de son propre bonheur. À vrai dire, je l’aurais souhaité moins pimenté, mais je n’y peux rien et me laisse mener par le bout de la fourchette. Et les choses semblent aussi torrides en face de moi. Le couscous de poissons se compose de lotte, de sardines et d’un boudin de truite (assez relevé) posés sur le lit de semoule. Un abondant fumet de cari rouge mouille tout cela et vous fouette les sens. Nos échanges de bouchées se font rares à mesure que nos assiettes se vident. Nous nous accordons quelques minutes pour souffler avant d’envisager de passer à autre chose: deux allongés, puis… Je me rabats sur un "classique" susceptible d’apaiser mes papilles surexcitées, en l’occurrence une crème caramel onctueuse (sans cette petite croûte désagréable que certains ne savent pas éviter). Mon invitée se décide finalement pour un nougat glacé escorté de bleuets. Nous voilà donc bien partis pour nous envier mutuellement…
L’Échaudé
73, rue du Sault-au-Matelot
Québec (Québec)
Téléphone: 418 692-1299
Forfaits Carte d’hôte et Table d’hôte: 28 $ à 53 $
Menu du jour: 14 à 28 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 46,28 $
Cuisine :
Légende /
grande table : 5 étoiles
très bonne table, constante : 4 étoiles
bonne table : 3 étoiles
petite table sympathique : 2 étoiles
correcte mais inégale : 1 étoile