Restos / Bars

La Traite : Festin sans réserve

Avec un chef qui n’en est pas à ses premières armes, La Traite met au départ toutes les chances de son côté.

Pour ce qui est de la cuisine d’inspiration autochtone, le chef Martin Gagné n’a rien d’un novice. Parmi ses créations antérieures, on se rappellera sa "Glissade des Premières Nations". Sa carte actuelle renouvelle en quelque sorte une profession de foi: donner à chaque convive l’"occasion de remercier la Terre et de prendre conscience de la beauté et de l’abondance de la nature".

Sollicités par la faim et par la curiosité, nous ne savons à quoi nous devrions accorder la priorité. À la grande carte aux rubriques évocatrices? Ou bien à ce décor résolument moderne ponctué de clins d’oeil à la tradition? D’énormes troncs d’arbres supportent le plafond, tandis que, çà et là, d’étroits fûts de bouleaux émergent de bacs cylindriques. Les plafonniers évoquent des tambours. Le regard s’égare, s’attarde un peu au foyer central, puis vient se reposer sur l’un des grands tableaux qu’illumine un visage. À ma droite, accrochée au mur, une "composition" réunit sur une écorce de bouleau un wampum, une flèche, des plumes et un carquois.

La "cuisine d’origine" finit par l’emporter: nous sommes venus pour ça. Sitôt commandés un kir à L’Orléane et une Sleeman Light, nous nous appliquons à éplucher la carte. L’"Atmosphère chaude" est une brioche au piekouagami (fromage jeannois) et sa fumaison sèche… Alors que nous dégustons nos apéros, notre serveur, jovial, nous décrit, nous raconte chacun des plats. Ainsi nous régalons-nous par avance du lièvre bio à la racine toutes épices, de la chèvre des neiges en boule cristalline au miel de fleurs sauvages ou de l’oie blanche de la ferme rôtie. Choix de plus en plus difficile, mais nous finissons par commander.

Mon amie commence par la petite poire pelée qui se dresse, au milieu de son assiette, sur une tendre effilochure de canard confit qui révèle à peine la saveur du sapin et de la betterave. Les noix de pin y mettent un peu de croquant; la saveur du sapin et celle de la betterave se manifestent à peine. La verdurette apporte quelques notes de fraîcheur à cette entrée qui, d’elle-même, vous impose un rythme presque solennel. Mon amie accompagne cela d’un vin rouge australien (shiraz, Yellow Tail, 2005). Petite darne de truite sur mince filet d’esturgeon, pousses de blé d’Inde, verdurette: tel est mon "boucan d’esturgeon et truite, sablime de la mer et caramel au parfum subtil de bleuets". Il s’agit d’une entrée froide. Le moment de surprise passé, on se prend au jeu des saveurs sans trop se demander ce que désigne le mot sablime ou s’il s’agit d’une faute de frappe. L’essentiel se passe en bouche, la langue s’amuse et ne vous laisse même pas le temps de commenter, d’apprécier à haute voix l’harmonie de l’ensemble, le fumage discret des chairs et leur délicatesse.

Vient ensuite le granité de la saison à la pêche et à la mangue servi à mon amie. Pas du tout granuleux, onctueux même, il tient davantage du sorbet laitier. Pour moi, un potage à la courge butternut (courge musquée). Une petite pincée de sel éveille son potentiel… et j’en redemanderais. Mon plat de résistance… n’en oppose aucune. C’est un "Voyage au bout des saveurs: doré de lac à la croque au sel de lavande et ses traits de maïs et mélasse". Des pousses variées, une carotte entière, des asperges et des pousses de blé d’Inde se croisent et s’enchevêtrent sur le filet de doré – un peu trop discrètement assaisonné. On croit y déceler un goût furtif de fenouil. À côté, purée de betteraves, tombée de poireaux et petit monticule d’orge. "L’herbe est toujours plus verte dans le champ du voisin", commente notre serveur en souriant. Il est venu aux nouvelles, et mes éloges les plus vifs s’adressent au plat de ma compagne: faisan de la ferme rôti et farci aux tomates séchées "et son velouté de salsifis à la catherinette" (ronce pubescente). Mes raisons? Un assaisonnement plus franc, plus soutenu, plus… "Viril", complète mon amie en éclatant de rire. Et, comme elle estime avoir déjà trop mangé, elle m’invite à une nouvelle incursion dans son assiette. La farce est dense, bien humidifiée de sucs, goûteuse. Je fais la navette d’un plat à l’autre. À la fin, nous refuserons les desserts. Nous en accepterons finalement un, mais le serveur nous en apportera deux: trilogie de desserts à partager (pommes, fondue à l’érable, sorbet à la citrouille et aux noix), plus "Le rêve noir" (croquant au chocolat noir parfumé à l’épinette noire).

La Traite
Hôtel-musée Premières Nations
5, place de la Rencontre "Ekionkiestha"
Wendake
Tél.: 418 847-2222, poste 2012
Tables d’hôte: 34 et 36 $
Menu du jour à partir de 10,95 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 101,05 $

Cuisine :

Légende /
grande table : 5 étoiles
très bonne table, constante : 4 étoiles
bonne table : 3 étoiles
petite table sympathique : 2 étoiles
correcte mais inégale : 1 étoile