UN PEU D’HISTOIRE
Martín Ore, chef-propriétaire du restaurant péruvien Mochica, est une mine inépuisable d’information sur la patate. Après avoir rappelé l’origine de la pomme de terre, que les Incas cultivaient dans la cordillère des Andes il y a 8000 ans, il bondit d’une anecdote à l’autre. Il raconte la traversée de la papa (nom quechua de la pomme de terre) à bord des caravelles du conquistador espagnol Pizarro; le stratagème d’Auguste Parmentier, qui, pour propager le tubercule en Europe, a fait garder sa plantation par des soldats potiches, incitant ainsi les paysans au pillage… Rien n’échappe à ce chef curieux! "Les Incas cultivaient déjà 1000 variétés de patates. Aujourd’hui, cette diversité s’est encore accrue, même si le Pérou a depuis longtemps perdu son titre de plus gros producteur, loin derrière la Chine", indique Martín Ore, parsemant son exposé de chiffres.
Après avoir renié cet ingrédient trop associé au passé autochtone, les Péruviens plus fortunés renouent aujourd’hui avec leurs racines… et, par le fait même, avec leurs patates! Résultat: on sert maintenant la papa aussi bien aux fins gastronomes que dans les stands de rue.
Dans son resto, le chef régale ses convives de plats typiques: la papa a la huancaina, mini-pommes de terre jaunes dans une sauce au fromage de chèvre pimentée, la papa rellena, farcie au lama, "version péruvienne du pâté chinois", la causa, farcie quant à elle de thon et d’avocat, ainsi que la carapulca, une patate déshydratée qui aurait notamment sauvé l’empire inca de la famine. Si cet ambassadeur de la cuisine péruvienne ne manque de rien ici, il s’ennuie tout de même de sa papa, qu’il fait venir expressément de son pays natal…
FRITE ALORS!
Française, belge ou américaine, la frite? Charles E. Pariseau, chef exécutif du Leméac, court-circuite d’emblée le débat. "Je m’en fous, tant que c’est bon et que c’est fait maison. Ne me parlez pas des frites congelées! Je les aime chaudes et assaisonnées tout de suite après la cuisson." Les patates, Charles E. Pariseau connaît. Vu la quantité astronomique qui défile dans ses cuisines, il n’a pas le choix. "Chaque semaine, on écoule 10 poches de 50 livres de Yukon Gold juste pour la purée, et 20 sacs de 50 livres de pommes de terre blanches de l’île d’Orléans pour les frites et les pommes-allumettes. Ça, c’est sans compter les autres variétés – rattes, nouvelles, grelots – que je mets aussi au menu!" Pour le traitement de ses patates frites, le chef est aux petits oignons: épluchage, rinçage, blanchissage dans le gras de boeuf, puis friture à haute température dans l’huile d’arachide. C’est là le passage obligé pour qu’une frite se démarque de celle du stand à patates.
À travers son discours expert, on découvre le profond lien affectif qui relie le chef à la patate. "Mon trip a commencé avec le rosbif dominical de ma mère, toujours accompagné d’une purée de patates. À sa version classique avec du beurre, du lait et de la sarriette, je me suis mis à ajouter de la crème sure, des oignons confits ou du fromage. Je devais avoir 8 ou 9 ans. C’était mes premières expériences culinaires. La purée de patates, c’est irremplaçable, aussi bien pour sa texture, son goût, que tous les souvenirs d’enfance que ça fait remonter. À ceux qui la boudent sous prétexte que c’est lourd, je recommande de se passer de dessert à la place. Une purée, c’est bon avec ben de la crème et du beurre, pas autrement!"
ET PATATI ET PATATA…
"Riche en valeur nutritive, peu coûteuse, d’une polyvalence incontestée… Pas étonnant qu’elle soit encore l’accompagnement par excellence dans plusieurs foyers québécois. Pour moi, une journée sans patate, c’est comme un biscuit aux pépites de chocolat sans un verre de lait! Impensable!" lance le chef Pascal Leblond.
Son amour de la patate dépasse largement les limites de son resto du Vieux-Montréal. Lorsqu’il en parle, il vogue de la nostalgie des bonbons-patates de sa grand-mère à la salade de patates-bacon-cornichons-persil-mayo dont il est accro. Il évoque ensuite sa star du gril: des grelots rouges en papillote, ail en chemise, huile d’olive, branche de romarin et jus de citron… Finalement, en bon Saguenéen, il parle de sa tourtière, à laquelle il ajoute des pommes de terre. "Justement, j’ai encore un peu d’orignal et un lièvre au congélateur…", glisse celui dont l’enfance passée à chasser et à pêcher n’est jamais bien loin. Pour toutes ses concoctions, le chef ne jure que par les patates du Québec, mieux équilibrées en sucre, en fécule et en eau. Quant à son truc infaillible pour réussir ses purées: il les "travaille" à chaud, ce qui les empêche de devenir collantes. Au menu du Vauvert, il aime accompagner le filet mignon d’une fricassée de pommes de terre, vieux cheddar et oignons caramélisés. Son pendant plus… féminin? Une chaudrée de Yukon Gold et topinambour, mouillée au jus de palourdes et Blanche de Chambly avec un lait d’amandes et caviar d’Abitibi. "Les patates, c’est un plaisir caché… Au fond, tout le monde les aime, même ceux qui ne l’avouent pas!" affirme Pascal Leblond. C’est vrai qu’à la lecture de ces intitulés, on serait bien fous de ne pas flancher!
CARNET D’ADRESSES /
Mochica
3863, rue Saint-Denis
Tél.: 514 284-4448
Leméac
1045, avenue Laurier Ouest
Tél.: 514 270-0999
Vauvert
355, rue McGill
Tél.: 514 876-2823