Le personnel n’a certainement pas le temps de s’ennuyer. Il y a les clients attablés pour un bon moment. Quelques-uns commencent à manger avec l’intention de prendre leur temps; d’autres en sont déjà au dessert et au thé. Il y a ceux qui attendent, près du comptoir ou en retrait, ce qu’ils ont commandé par téléphone et, enfin, ceux qui avalent vite fait un baklava ou un sandwich. Ce petit resto fait aussi la livraison. On identifie assez bien les habitués: il suffit de prêter un peu l’oreille aux propos qu’ils échangent avec la serveuse.
D’où je suis, j’ai une vue partielle mais suffisante de la cuisine: un pita qui se referme sur sa garniture de poulet et de légumes, une assiette de shawarma qui prend forme, un petit bol qui fume… J’ai aussi droit à toutes les odeurs qui donnent faim et j’en profite comme un égoïste en attendant que mon amie revienne de l’épicerie. Nous avions oublié d’apporter notre vin.
La carte n’a plus de secrets pour moi. Ou plutôt, si: un seul. Je connais la chorba; mais qu’est-ce qu’une chorba frik? Simple variante, m’explique-t-on: elle est au boulgour. Bourek, pastilla au poulet et amandes, tajine de poulet aux champignons, kebab algérois, couscous royal, brochettes, etc.: à ces spécialités connues s’ajoutent de loin en loin une nouveauté, tels l’agneau à l’ananas, le tajine léger aux légumes du soleil, les crevettes au parfum du Maroc. Les couscous sont naturellement au poulet, à l’agneau ou aux merguez. De même les tajines.
Mon amie revient, le sourire aux lèvres et une bouteille de vin rouge australien à la main (Silverthorne). Cinq minutes de réflexion et de lecture lui suffisent pour se décider. Elle me fait même découvrir une seconde carte, plus petite et cachée sous celle que j’ai déjà consultée: sous-marins, paninis et toutim. Je me décide sans surprise pour la chorba frik – servie dans un bol de taille respectable et parsemée de coriandre ciselée. Elle embaume, mais il y manque un peu de sel. Ce petit problème résolu, je n’ai plus à me préoccuper que de manger à grandes cuillerées mêlant, dans un bouillon goûteux, des dés de carottes, de courgettes et autres petits légumes. Un client entre et traverse la petite pièce pour venir prendre place près de nous. Aussitôt installé, aussitôt servi. "Tu vois, dis-je à mon amie, on peut commander avant d’arriver…" Mon bol est reparti, nos plats de résistance s’amènent. Pour mon vis-à-vis, une assiette assez colorée: salade chou rouge d’un côté et, de l’autre, un mélange de légumineuses. Entre les deux, près du bord de l’assiette, une salade marocaine s’est fait une petite place, en laissant une plus grande aux merguez (pas trop relevées) posées sur un lit de riz et au poulet mariné "en extra". Plus un petit bol de sauce piquante qui vous relaxe les sinus les plus maussades.
J’y fais ma petite virée, certainement, prenant bien soin d’éviter les légumes pour la simple et bonne raison… qui se trouve dans ma propre assiette. Après avoir tâté du poulet mariné et des merguez, je me préoccupe de mon propre sort: un couscous aux légumes. Eh oui! "Tu es sûr que ça va?" me redemande mon amie pour la nième fois. Je la rassure, mais elle n’est pas rassurée. À preuve qu’elle me refile la moitié d’une merguez et un morceau de poulet. Je ne m’y oppose pas. J’imbibe de sauce (servie à part) les grandes tranches de courgettes et de carottes qui se prélassent sur leur épais coussin de semoule. Quelques pincées de sel, et tout va pour le mieux.
Nous mangeons depuis un moment déjà quand nous apprenons du personnel que le resto déménage dans quelques jours. "Un nouveau local… plus grand et plus chic… et une toute nouvelle carte…" Moi qui me disais, en arrivant, que le décor n’avait pas changé! Il va donc l’être du tout au tout. Notre intérêt est manifeste; on nous raconte donc tout, les travaux en cours, le petit salon marocain déjà prêt, les spectacles à venir, tout. Du regard, sans un seul mot, nous nous disons que nous ne tarderons pas à y aller…
La gourmandise n’a pas eu raison de moi: je termine par un café, tout en lorgnant les baklavas servis tout près de nous. Mon amie a préféré un thé à la menthe – qu’on lui amène non sucré. "Oubli, négligence ou révolution?" dis-je. Elle éclate de rire.
Aux 2 Violons
122, rue Crémazie Ouest
Québec
Tél.: 418 523-1111
Tables d’hôte: 17,95 à 23,95 $
Menu du jour: 9,75 à 12,75 $
Souper pour deux (incluant taxes et service): 26,76 $
Légende /
grande table : 5 étoiles
très bonne table, constante : 4 étoiles
bonne table : 3 étoiles
petite table sympathique : 2 étoiles
correcte mais inégale : 1 étoile