Heureuse comme Ulysse, mon amie se remémore pour moi ce voyage à l’autre bout du monde dont elle rentre à peine. Un double décalage horaire, une escale interminable, mais la mer, les mornes, la magnificence des paysages, la route aux plus de 300 virages… On croirait y être. C’est en souvenir des "bouchons" réunionnais que, dès son premier coup d’oeil sur la carte, elle se décide pour une entrée de "dim sums de boeuf aux arômes de l’Asie". Nous avons choqué nos verres, son rosé (Settlers’s Cove) contre ma Stella Artois. La carte nous a livré quelques autres de ses secrets, dont la formule "Concept tapas" combinant trois entrées. Nous survolons fébrilement la première rubrique: croustade de canard confit au reggiano, ceviche de pétoncles et caille confite sauce aux avelines. La suivante nous impose un rythme plus posé, allez savoir pourquoi. Là, ce sont les ris de veau, barramundi, mignon de boeuf grillé, pavé de foie de veau flambé au Sortilège, tartare de thon, brochette de pétoncles à la citronnelle, cassoulet toulousain, jarret d’agneau braisé, carré de biche apprêté au caramel de porto aux abricots…
Notre choix est fait et nous passons commande. C’est alors le moment de commenter une fois de plus les photographies monochromes tout en prêtant l’oreille à la musique d’ambiance. La salle à manger se remplit peu à peu de clients pour la plupart anglophones. Par la fenêtre proche, nous assistons au défilé d’un nombreux groupe de jeunes précédé d’un individu en tenue d’époque. Le "Aaah!" de mon amie me ramène à table. Nos entrées s’amènent et, dans les haut-parleurs, la voix de Cesaria Evora cède la place à de la musique de jazz. À tout hasard et sans y croire, je lance à notre serveur: "Il revient quand, le jazz chez vous?" Il me répond sans se démonter: "On a recommencé tranquillement… Le vendredi et le samedi, de 20h à minuit." Cela nous fait presque l’effet d’un scoop et mérite bien les gorgées d’apéro que nous nous octroyons de bon coeur, mon amie et moi, pour vider nos verres.
Les dim sums s’avèrent excellents, pas trop relevés, garnis de viande de boeuf, de crevettes, de fines nouilles. La garniture se complète de wakamé, de fèves germées et de poivrons rouges en lanières. J’ai choisi, quant à moi, le flan renversé au foie gras. Coiffé de très fines tranches de pommes caramélisées au vin blanc, il s’accompagne de wakamé, de tranches de concombre, d’endives, de jeunes pousses et de fèves germées. J’aurais déclaré ce mets parfait, n’était sa température plutôt… frisquette. "J’ai envie d’aller faire un tour dehors pour le laisser se décontracter un peu", dis-je à mon amie. Elle ouvre de grands yeux et se demande si je parle sérieusement… Je la laisse douter un peu.
Nos assiettes sont par contre brûlantes au service suivant – le serveur nous en avertit. Dans celle qui fait pendant à la mienne repose un beau filet de barramundi, poisson d’Australie et de l’Asie du Sud-Est (que certains appellent parfois "loup tropical"). Emmailloté d’un morceau de feuille de bananier, il libère, en se dévoilant, un parfum apéritif, prenant, presque capiteux. Mes papilles (car j’y goûte) en sont reconnaissantes au chef qui a si savamment assaisonné cette chair blanche et délicate. Je tâte un peu de la purée de patates douces, vu qu’elle est là, et m’intéresse enfin à mes ris de veau aux morilles flambés à la sambuca. Ils débordent d’une large corolle de pâte fine et craquante dont le bord inférieur s’est ramolli en s’imprégnant de sauce. Mon amie lève à ma santé son verre de chardonnay (Jackson-Triggs, 2005) et… j’attaque. Perplexe à la première bouchée, je corrige la sauce d’une légère pincée de sel. Elle est onctueuse et de bon goût. Les ris lui vont bien – ou l’inverse, peu importe. L’essentiel est que l’appétit ne me fasse pas faux bond avant le dernier coup de fourchette. Pour mettre toutes les chances de mon côté, j’épargne les légumes (pommes de terre, carottes, asperges…) et décide d’ignorer complètement le pain.
Un peu plus tard, on nous apporte nos cafés sur fond de Triplettes de Belleville. L’instant d’après, c’est la "verrine crémeuse au chocolat" qui se pose devant mon amie, entourée de mûres, de moitiés de fraises, d’une cerise de terre et d’une pirouline. Combien de temps pourrai-je tenir avant d’y plonger ma cuiller?
Le Charles Baillairgé
Hôtel Clarendon
57, rue Sainte-Anne
Québec
Tél.: 418 692-1511, poste 365 ou 1 888 554-6001
Table d’hôte à partir de 24 $
Menu du jour à partir de 10 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 99,20 $
Légende /
grande table : 5 étoiles
très bonne table, constante : 4 étoiles
bonne table : 3 étoiles
petite table sympathique : 2 étoiles
correcte mais inégale : 1 étoile