C’est bien la première fois que je qualifie un serveur de… supersonique! Imaginez quelqu’un qui s’adresse à vous… et qui termine sa phrase trois ou quatre mètres plus loin. Vous lui posez une question? Il n’en entend pas la fin, pas toujours. Le resto est bondé, je le vois bien. La terrasse aussi. Bien que débordé, le personnel ne semble pas au bord de la crise de nerfs – sauf celui qui se charge de notre table. Un bon moment après notre arrivée, il a placé derrière moi le grand tableau noir qui tient lieu de carte. En me tordant un peu le cou, je parviens à déchiffrer quelques noms de plats: potage du jour, salade mixte, planche de charcuteries, terrine de campagne, plat du jour… Les murs noirs de la salle à manger sont couverts d’une fine écriture manuscrite énumérant des noms qui donnent soif: Mumm, Muscadet Sèvre-et-Maine, Sancerre et toutim. On l’aura deviné: ce resto est aussi un "bar à vin". Mais personne ne nous a proposé ne serait-ce qu’un apéro. Au bout d’une interminable demi-heure, notre serveur se pointe: "Vous êtes prêts à commander?" Il regarde déjà ailleurs. "Dans ce genre de restaurant, monsieur, vous auriez pu nous proposer d’abord un apéro…" Sa voix grimpe brusquement de plusieurs tons pour déclarer à toute vitesse: "C’est à vous de me dire ce que vous voulez boire… Vous voulez du Dom Pérignon? J’en ai!" Il bondit en direction du bar, attrape une bouteille de Segura Viudas et la brandit en tonnant: "Ça, c’est comme la Veuve Clicquot, mais en espagnol…" Textuel!… Plusieurs têtes se sont retournées et le bruit des conversations n’est plus qu’un murmure. Je me demande si l’individu va se mettre à hurler ou éclater en sanglots. "Nous en prendrons un verre chacun", dis-je pour le calmer. "Seulement à la bouteille", déclare-t-il, tranchant. "Ou bien voulez-vous un kir royal? Je peux vous en faire…" Je ferme les yeux un moment, m’exhorte au calme et commande une bière (Cheval Blanc), tandis que mon amie se décide pour un verre de rosé (Bellevue La Forêt, 2006).
L’accordéoniste qui "sérénadait" sur la terrasse vient faire un tour dans la salle à manger, enchaînant de vieux succès français et italiens. À un certain moment, nous faisons signe à notre serveur qui passe en flèche. Il nous arrive peu après et je lui demande quel est le potage du jour. "Crème de…" La suite se perd du côté de la porte d’entrée. Même scène (ou presque) en ce qui concerne le plat du jour. Mais nous finissons par savoir un peu plus tard qu’il s’agit d’une crème de légumes et d’un filet de porc à la moutarde. Une fois notre commande passée, mon amie me confie en souriant: "J’ai bien cru que tu allais te lever et me dire qu’on s’en va…" J’y ai pensé, mais je tenais à me faire une idée de la cuisine qui (j’ai pu le savoir) mérite le déplacement.
Mon entrée est une salade d’os à moelle: deux gros os dressés comme des tours dans un environnement de verdure (épinards, feuilles de chêne, etc.) avec, à côté, de la fleur de sel. La moelle est abondante et délicieuse; une vinaigrette délicate (sans acidité) humecte la salade fraîche et croquante. Une moitié d’oeuf dur surmonte la "salade mixte" choisie par ma compagne. Nous mangeons avec notre appétit des grands jours. Deux ou trois fois, elle fait signe à notre serveur pour lui demander un autre verre de vin. Il lui répond invariablement (sans s’arrêter): "Ça s’en vient." Elle l’a enfin, son second verre de vin, peu avant l’arrivée de nos plats de résistance. Pour elle, des moules marinière en abondance, délectables, accompagnées de frites maison et de mayonnaise (pas maison). Pour moi, un beau filet mignon cuit comme je l’ai désiré. Rosé à l’intérieur, tendre, juteux, nappé de camembert fondant qui, se mêlant au jus de la viande, compose dans l’assiette une sauce suave. J’ai aussi droit à une grosse demi-tomate grillée (que j’oublie dans son coin) et à un petit gratin de courgettes fort appétissant. Nous apprécions aussi le pain qui nous a été servi: de bon goût et consistant sans être lourd. Peut-être provient-il de Chez Paul, la boulangerie proche. Notre serveur, que j’interroge à ce sujet, me répond: "Peut-être… je ne sais pas… je suis ici à temps partiel…" Il est déjà parti. Sa réponse n’est pas plus explicite quand je me renseigne sur le nom du chef.
La salle s’est un peu vidée… mais se remplit assez vite quand une petite pluie inopportune force l’évacuation de la terrasse. L’accordéoniste est de nouveau parmi nous. Il joue à notre table le célèbre Moulin Rouge de Mathé Altéry, puis s’éloigne sans hâte en interprétant des airs latino-américains. Nous nous passerons de dessert et de café. Monsieur Flèche nous laisse l’addition en passant.
Le Veravin
Resto-bar à vin
233, rue Saint-Paul
Québec
Tél.: 418 692-4648
Menu du jour: 14,95 $
Table d’hôte: 18,95 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 84,60 $
Légende /
grande table : 5 étoiles
très bonne table, constante : 4 étoiles
bonne table : 3 étoiles
petite table sympathique : 2 étoiles
correcte mais inégale : 1 étoile