On croirait qu’il a toujours été là. C’est dire à quel point ce resto-boîte à vin fait partie du paysage. Souvent, ceux qui n’y sont pas encore allés s’en excusent, comme pris en faute. Je lèverai une fois de plus mon verre à leur santé, en l’occurrence un mousseux espagnol doux et fruité (Cava, Gramona, 2006). Mon amie a préféré un muscat portugais (Moscatel de Setúbal). Revenus depuis peu de brèves vacances au chaud, le soleil nous manque encore… ou déjà. Par bonheur, la cave du Moine échanson fait escale ces jours-ci dans le bassin méditerranéen. Ça s’arrose. Sa table aussi, comme en fait foi le grand, très grand tableau noir suggérant gaspacho, paëlla du Moine, jarret d’agneau, sans oublier l’assiette du Bassin ci-dessus, l’assiette de charcuteries, la galette de boudin noir au chorizo et curcuma, les beignets de morue…
Pour souffler un peu en repensant à tout cela, je détourne un moment les yeux. Des meubles rustiques et quelques plantes vertes composent l’essentiel du décor. Au haut d’un mur, on découvre un violon, des chaussures de flamenco et une flûte traversière. Des revues s’empilent au bas d’une étagère: Bourgogne, Flaveurs, La Revue du vin de France… Dehors, la minuscule terrasse aménagée sur le trottoir accueille ses premiers clients de la soirée. Je distingue des têtes qui bougent, des verres qui se lèvent, ainsi que le flot nonchalant et continuel des passants.
La serveuse nous avait demandé de l’avertir quand nous serions prêts pour une description détaillée des menus. Mon amie lui fait donc signe et nous avons droit à des précisions qui nous surexcitent les papilles. "Je prendrai tout", dis-je en plaisantant, mais en regrettant de ne pouvoir le faire. À en juger par ce qui se mange autour de nous, le jarret d’agneau qu’on nous explique connaît un véritable succès. Posé sur une ratatouille et servi dans un pot Mason… accommodé aux herbes, avec une touche de lavande… On évoque aussi pour nous – cela va de soif! – tout ce qui se boit pour accompagner tel ou tel mets, ou les fromages, ou les desserts – vins bios ou d’importation privée, pour la plupart. Mousseux, muscats, rosés, retsina, xérès, porto sont de la partie.
Nous finissons par nous décider… pour un compromis: deux entrées distinctes, que nous nous partagerons, et un plat de résistance qui subira le même sort. Cinq beignets de morue, sur brochette, escortés de mayonnaise maison citronnée et discrètement semée de ciboulette ciselée. Ils sont parmi les meilleurs que nous ayons mangés depuis longtemps. Légers, dorés, savoureux, ils se révèlent en outre peu gras… et pas trop salés. Mon amie marie cela avec un verre de rosé corse (Domaine d’Alzipratu, 2007). Elle s’en commandera un deuxième un peu plus tard. Ma propre entrée est flambée à l’ouzo juste sous mes yeux, à ma table. Il s’agit d’une poêlée de feta surmontée de deux petits calmars irréprochables que j’aimerais bien pouvoir multiplier d’un simple geste… Mes gestes se contentent de les détailler en minuscules bouchées, histoire de faire durer un plaisir qui finit bien par finir, malgré mes petites excursions du côté des croquettes de morue.
Quelques minutes plus tard, l’assiette du Bassin méditerranéen s’amène, majestueuse de simplicité: charcuteries du Cochon tout rond (chorizo, figatelli, lonzo, coppa), quatre petites tomates confites entières (sur croûtons) et tuiles de parmesan, terrine d’agneau maison et, dans un cornet de papier, des chiquetes frits. Ces derniers sont de tout petits anchois et ils se mangent par toutes petites poignées. Au premier coup de dents, les tomates giclent un peu et l’on en rit. Les charcuteries, elles, ont ce goût d’authenticité qui se fait de plus en plus rare. Autant en profiter. Je ne me le dis pas deux fois. Et ce petit dernier que j’allais oublier! Des figues gratinées au provolone et semées d’amandes effilées rôties. Que de dévouement autour de ce plat! Mon amie et moi croisons la fourchette comme on croise le fer, mais avec une fougue plus complice qu’agressive.
L’assiette repart, vide, longtemps après, me laissant une vague nostalgie. Prendrons-nous autre chose? Je suis partant, mais pas mon vis-à-vis. Pour un peu, je commanderais encore des beignets de morue, sinon la petite paëlla maison. "Je te préviens que je ne t’aiderai pas…" Ce commentaire donne à réfléchir et la réflexion me conduit tout droit à un dessert. Il s’agit de biscuits sablés présentés dans un verre, chapeautés d’un coulis d’abricot lui-même coiffé d’une crème de fenouil. Le dernier étage n’est rien d’autre qu’une délicieuse glace à l’huile d’olive. Vous avez bien lu. Gourmandise et curiosité y trouvent leur compte, y font bon ménage et, pour tout dire, c’est le pied!
Le Moine échanson
585, rue Saint-Jean, Québec
Tél.: 418 524-7832
Plats divers à prix variés
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 80,19 $
Légende /
grande table : 5 étoiles
très bonne table, constante : 4 étoiles
bonne table : 3 étoiles
petite table sympathique : 2 étoiles
correcte mais inégale : 1 étoile