Ma dernière visite m’avait laissé sur mon appétit. J’avais apprécié la courtoisie du service et déploré un certain manque d’"enthousiasme" de la cuisine. Je n’avais pas dit que les mets eux-mêmes avaient l’air de s’ennuyer, mais cette impression me revient abruptement ce soir. Il n’y a là que des touristes, anglophones, dans la salle à manger et dans le petit salon attenant. Celle qui nous a accueillis à l’entrée nous accompagne jusqu’à une table et, quand je lui demande où se trouve le vestiaire, elle me répond avec assurance que le resto est trop petit pour avoir un vestiaire. À peine sommes-nous assis que mon amie se penche vers moi pour confier: "J’ai l’impression qu’on les a un peu déroutés…" Je n’ai nul besoin d’un dessin pour comprendre que "les" désigne la personne ci-dessus et le serveur qui a bientôt pris la relève, sans oublier l’employé (ou le patron?) qui trône, taciturne, derrière le bar. En effet, nous n’avons pas l’air de touristes et ne parlons pas anglais. Et nous les déroutons encore plus quand, au moment de choisir une boisson, je m’enquiers du millésime d’un vin. "Pfff… il n’y a même pas de millésime marqué sur la bouteille", fait le serveur – avec l’air de se dire qu’il n’est pas sorti du bois avec ces deux-là! Pour le rassurer, je commande un verre de Heineken et mon amie se rabat sur le vin maison (Botero).
La carte, dans tout cela? Un peu de tout… pour faire un monde (ou même plusieurs). Le "menu rapide" propose poutine, oignons français, burgers, poulet BBQ, etc. Du côté de la table d’hôte, on remarque une "salade de poulet fumé au sésame et vinaigrette aux arachides", le potage du moment, le carré de porc du Québec (sauce Grand Marnier et "gelée de cidre de pomme" [sic]), un confit de canard du lac Brome, du filet mignon au foie gras et Ciel bleu en portefeuille, des cailles farcies aux canneberges (sauce Sortilège). Suivent alors les pizzas, shish kebab, entrecôte, escalope, tataki de thon rouge, tartares (saumon, boeuf ou thon), les ris de veau, les "woks" (poulet, boeuf, crevettes)… Je finis par me décider pour les rillettes de lapin et le filet de perroquet. Mon amie se laisse tenter par la panna cotta de mangue en shooter (betteraves rouges et tartare de fraises) et les côtes levées de cerf de Boileau.
L’attente n’est pas bien longue. À peine avons-nous le temps de commenter un peu le décor, la beauté des murs de pierre, le plafond de vieilles poutres, les miroirs, le grand tableau illustrant un sybarite joufflu qui exhorte à "Boire frais et manger salé". Un amoncellement de carottes en lanières, de la salade, des tomates naines, mes rillettes posées sur un croûton avec, tout à côté, un confit de carottes et un autre d’oignons: telle est l’entrée que j’entame avec une vague appréhension – vite dispersée après deux ou trois bouchées. Les rillettes sont excellentes et, sur le moment, je ne me doute pas que ce sera pour moi le meilleur de la soirée. La panna cotta est constituée de mangue, de betteraves, de fraises presque réduites en compote. Les trois étages colorés se distinguent aisément à travers la paroi du verre qui les contient et qui se dresse dans une assiette garnie de carottes en ficelle et de canneberges. C’est là une excellente entrée, fraîche, de bon goût.
Quelques minutes plus tard, le potage du jour s’amène. Je préfère m’abstenir, réservant mon appétit pour le principal. Mon amie préfère se fier au présent. Il s’agit d’un Crécy – plutôt tiède et outrageusement dilué. On devine tout de même que, plus réduit, il aurait eu bon goût. Quand arrivent les plats de résistance, je ne me tiens pas de joie. À moi ce beau filet de perroquet posé sur une réduction de bleuets! Pour faire joli, un brin de romarin planté dans un petit monticule de riz. Le serveur s’étonne un peu que je ne sois pas étonné. "Comment trouvez-vous le poisson?" demande-t-il, pour dire quelque chose. Cela aurait pu être mieux… Le commentaire suivant m’éclaire un peu sur ce qu’il pensait vraiment: "Vous savez, il y a bien des gens qui ne savent pas que le perroquet est un poisson…" Pour couper court, je lui parle un peu de ce poisson des mers chaudes, aux couleurs vives. Je ne finis pas mon assiette. Disons que je l’entame à peine: le poisson est trop cuit. La sauce, trop sucrée et pas suffisamment tamisée, mériterait en outre une petite pointe d’acidité et une pincée de sel. Le riz? Coriace. C’est tout le contraire pour celle qui me fait face: d’énormes côtes levées de cerf de Boileau, brunies d’une sauce réussie et posées sur des légumes apprêtés à l’asiatique. La viande est étonnamment tendre. Et pendant que ce délice se dévore à pleines dents en face de moi, je rêve à un café bien chaud, chez moi, avec un gros sandwich de n’importe quoi. Tout pour oublier.
Restaurant Chez Rabelais
2, rue du Petit-Champlain, Québec
Tél.: 418 694-9460
Table d’hôte: 24,95 à 36,95 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 83,30 $
LÉGENDE
Grande table:
Très bonne table, constante :
Bonne table :
Petite table sympathique :
Correcte mais inégale :
Pour d’autres critiques, consultez le site www.guiderestos.com