Les flocons ont le don de rendre poète. Quel délicieux silence que celui des rues fraîchement enneigées! Le ciel bas, mais le moral au beau fixe, nous nous engageons à pas feutrés dans ce drôle de Greasy Spoon, avenue Laurier. Les lieux ne nous sont pas inconnus: ce fut le local de l’Alloro, un bon italien, puis celui de L’Ouverture, qui n’a jamais… ouvert. La terrasse, d’un blanc immaculé, nous nargue, mais tant pis, on en sera quitte pour l’intérieur. Un local redessiné, au look boisé intense, comme dans un authentique chalet. Les tables, hautes, sont fortes, solides. Du néo-rustique urbain qui appelle une seule cuisine, celle du réconfort. Le comfort food, disent les Américains.
Alors, c’est un vrai greasy spoon? Le serveur et coproprio Charles Manceau s’empresse de nous préciser qu’un greasy spoon, c’est comme un diner, et qu’on y sert de la "bouffe rassurante". Sans le côté chromé, mon ami. Petite parenthèse historique fascinante ici: le diner est à l’origine le nom des premiers restaurants installés dans des wagons fixes à la fin du 19e, où l’on servait alors une cuisine plutôt familiale. Dans les premiers greasy spoons, apparus au cours des années 20, c’était plutôt du junk food. Du coup, notre Greasy Spoon montréalais emprunte aux deux. Et pour notre plus grand plaisir.
À TABLE!
Du bon vieux rock des années 70 dans les oreilles, coup d’oeil sur le tableau noir, derrière le grand bar: 5 entrées, 5 plats, 2 desserts. Rien de plus simple. Une soupe (de légumes), une salade de haricots verts et de poulet grillé, un tartare de thon (miam!) et une salade d’asperges. Arrêtons-nous là, justement. Une recette d’une simplicité étonnante, mais qui marche! Asperges grillées, oeuf au plat et parmesan rapé, décorés d’un trait de vinaigre balsamique réduit. C’est frais et cuit à point. Le tartare, évidemment: élémentaire également. Du thon rouge frais, quelques échalotes et de la ciboulette: l’assaisonnement est léger, permettant de révéler le goût soyeux de la chair. Quelques croûtons et une sauce pimentée pour appuyer le tout, voilà une entrée généreuse.
Ici, on pratique la cuisine du marché. Le menu change tous les jours car les trois chefs font leur tournée des fournisseurs quotidiennement. Ce qui veut dire que ce que je vous raconte ici ne vaut absolument rien! Dieu seul sait ce que vous mangerez ce soir…
Mais attendez-vous quand même, après soupe et salades, à tomber sur une bonne viande, un poisson, un burger, un sandwich et des pâtes du jour. La viande, ce soir-là, était un copieux steak grillé (annoncé rib steak mais on m’a avoué avoir retiré le rib), accompagné de champignons grillés, de frites et d’oignons frits. Une chair cuite à la perfection, des frites impeccables, des oignons minces et croustillants, ce n’est rien, mais concocté avec sérieux. Le sandwich est un plat en soi. Et il s’agit plutôt d’une tartine, ou d’un immense croûton, recouverte de porc braisé et effiloché dans une sauce style BBQ un peu sucrée. Sous le pain, une purée de pommes de terre soyeuse. Disons carrément qu’on s’est régalé. Et que vu l’ampleur de la tâche, on n’a pas pu s’empêcher de demander à Charles: "Les clients, ils finissent toujours vos assiettes?" "Oui", a-t-il répondu d’un air visiblement surpris. Flûte alors, on n’a plus l’appétit qu’on avait.
DESSERT
Ce qui ne nous a pas empêchés de commander la Tatin. Célèbre tarte mille fois servie, qui d’habitude se commande au début du repas, car préparée minute. Ici, bien qu’elle soit visiblement faite à l’avance, ce n’est pas un problème, au contraire. Les pommes sont si caramélisées qu’elles en sont presque confites. Au creux de la tarte, une boule de crème glacée à la vanille fond dans la pâte feuilletée. Encore quelques minutes de bonheur…
EMBALLANT /
Le concept, amusant, contraste avec le raffinement habituel de ce coin de l’avenue Laurier. On imagine avec un léger sourire ironique la vénérable clientèle outremontaise, perchée sur ces hautes chaises, dégustant du bon vin dans des verres à eau… Des vins, d’ailleurs, sélectionnés parmi les bons vignobles canadiens, de l’Ontario à la Colombie-Britannique.
DÉCEVANT /
Le vin dans les verres à eau, justement. Même si cela renforce le côté brut de ce Greasy Spoon, le puriste continuera à préférer sa bouteille à 50 $ servie dans de bonnes vieilles coupes. Ça fait toute la différence.
COMBIEN? /
Une trentaine de dollars au minimum par personne pour l’entrée, le plat, le dessert. Très raisonnable.
QUAND? /
Du mardi au dimanche, de 17 h à minuit.
OÙ? /
Greasy Spoon
160, avenue Laurier Ouest, angle de l’Esplanade
Tél.: 514 495-7666
Pour d’autres critiques, consultez le site www.guiderestos.com