Restos / Bars

Mistral gagnant : Fidèles papilles

Il n’y a jamais eu qu’une saison au Mistral gagnant: celle du farniente gourmand.

Un petit réaménagement a suffi pour faire croire que la pièce s’est agrandie: tables réorientées, meubles déplacés, des tableaux permutés. Ce restaurant n’a rien perdu de son cachet et résume encore la Provence – la vraie, mais aussi celle dont on rêve, sans avoir besoin de l’enjoliver, en contemplant de loin les peintures de Didier Robert accrochées au mur de vieilles briques rouges. Le regard ne manque pas de faire escale sur des titres de livres, Luberon et Haute Provence, Les Plus Beaux Villages de Gascogne… Je songe à d’éternelles vacances où l’oisiveté serait vertu… De très vagues souvenirs m’effleurent, inondés de soleil et grisés de pastis. Peut-être se sentent-ils trahis, car ils s’évanouissent dès ma première gorgée de Sleeman. "À nous!" murmure mon amie en levant son verre de porto-tonique.

La carte change peu, mais elle intrigue autant que lors de nos précédentes visites. Ai-je déjà goûté à ceci ou à cela? Quels fruits de mer accompagnent les linguine? Qui de nous deux a tâté du suprême de volaille farci au fromage de chèvre? Soupe de poissons et sa rouille, feuilleté d’escargots, magret de canard aux pêches, carré d’agneau, ris de veau, bouillabaisse du chef: autant d’excuses à nos hésitations, conformément à ce rituel bien établi qui s’achève inévitablement par notre hâte soudaine de manger. Et voilà nos commandes parties en direction de la cuisine. Nos premiers plats ne tardent pas. En se posant devant moi, le tartare aux deux saumons m’effleure les narines de son odeur très citronnée. Eh oui, c’est ce que j’avais pris la dernière fois. Et, comme la dernière fois, l’acidité y domine un peu trop, masquant le goût du saumon frais; le fumé, lui, s’en tire assez bien. Deux ou trois filets d’huile d’olive et le tour est… à peu près joué, surtout que je ne lésine pas sur le pain (une de ces baguettes qu’on n’hésiterait pas à aller chercher à l’autre bout du monde). Mon amie n’avait pas choisi d’entrée sous prétexte que je lui demanderais, à un moment ou à un autre, de me venir en aide. C’est le cas, c’est le moment, et sa fourchette va bon train.

Au deuxième service, elle se fait servir un verre de vin bio, en l’occurrence un Château La Lieue (Brignoles, 2007). Purée de pommes de terre (fort savoureuse), chou-fleur et carottes glacées (au miel?) entourent ses ris de veau aux champignons qu’elle commente d’un souffle: "Un poème!" Dans sa bouche, cette remarque qui ressemble aux miennes m’étonne. Je prélève mes droits d’auteur à même son assiette encore fumante. Sous une très fine croûte due à la cuisson, les ris de veau ont, en effet, le moelleux, le velouté d’une caresse que prolonge la sauce à base de fond de veau allongé de porto. Mon assiette se pare de la même garniture (carottes et toutim) disposée autour de l’"arrivage du jour": bar du Chili cuit au four, beurre blanc et huile de basilic. S’il n’y a pas lieu de s’étendre sur les qualités de saveur et de finesse propres à ce poisson, on ne se privera pas de rappeler qu’un excès de cuisson en aurait fait un désastre. Là, tout est mesure et finesse, imposant à votre appétit un rythme presque solennel. Cela vous impose aussi (et l’on ne s’en plaint pas, bien au contraire) quelques gorgées de Brumont (gros manseng-sauvignon) 2007. En repartant, nos assiettes laissent derrière elles un peu de nostalgie. Sans perdre de temps à en chercher la cause, je décide du remède: une crème catalane au pastis, celle-là même dont j’avais conclu mon repas lors de ma précédente visite. J’ai les papilles fidèles.

Mistral gagnant
160, rue Saint-Paul
Québec
Tél.: 418 692-4260
Menu du jour à partir de 10,95 $
Table d’hôte: 23,95 à 36,50 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 101,50 $

LÉGENDE

Grande table:
Très bonne table, constante :
Bonne table :
Petite table sympathique :
Correcte mais inégale :

Pour d’autres critiques, consultez le site www.guiderestos.com