"Quand j’étais petit, mon frère Ange et moi, on accompagnait notre mère au marché. On partait tôt le matin et on la suivait partout, il fallait qu’on porte ses paniers de stand en stand car elle voulait tout voir avant d’acheter. Pour nous récompenser, elle nous offrait un cornet de socca, une grosse crêpe de farine de pois chiches traditionnellement cuite dans la rue sur des réchauds bricolés dans des tonneaux. Au restaurant, je la cuis dans notre four à bois, c’est un de nos classiques", se souvient Armand Forcherio. Tandis que la ratatouille mijote sur le poêle, exhalant des parfums de Méditerranée, nous voici transportés dans les marchés de la Côte d’Azur en compagnie du chef. Poissons grillés, olives, tomates, herbes odorantes, fleurs de courges farcies, beignets de sardines, pissaladière, mesclun, bouillabaisse… toutes les spécialités du comté de Nice ont leur place sur le menu de Nizza. "C’est un coin de pays très particulier qui ne fut définitivement rattaché à la France qu’en 1860. Avant cela, il a été occupé alternativement par la France et l’Italie pendant plusieurs siècles. Cela se ressent dans la cuisine de la région qui ressemble beaucoup à celle de la Ligurie italienne."
Eux-mêmes nés d’un père lombard et d’une mère piémontaise, les jumeaux Forcherio, Ange et Armand, se plaisent à faire honneur à leurs origines italiennes. "Notre mère nous a transmis la culture de la nourriture. Elle faisait des pâtes, des raviolis. Mais sa grande force, c’est qu’elle savait rôtir la viande, sa technique était parfaite. Son rôti de veau légèrement tomaté aux petits pois nouveaux qu’on mangeait aux alentours de juin sur la Côte d’Azur est un de mes plus beaux souvenirs d’enfance", raconte le chef avec émotion. Quand on lui demande ce qui l’a poussé à quitter le soleil de Nice pour les rigueurs du climat québécois, il répond en riant que ce sont les filles d’ici qui l’ont fait rester, avant de soupirer: "Si seulement il n’y avait pas l’hiver! Pour réchauffer nos clients, à partir du mois de novembre, on leur propose des escales dans le Sud-Ouest de la France avec du cassoulet et des plats mijotés." Venu travailler en Ontario, puis au Québec par l’entremise de la chaîne d’hôtels Four Seasons où il était employé en Angleterre, le chef a été séduit par la Belle Province, où il se sent aujourd’hui chez lui.
UN RESTO POUR DEUX
"Notre envie d’ouvrir ensemble un restaurant ayant pour thème la cuisine du comté de Nice date de notre enfance, mais c’est seulement à Montréal, le 16 mai 2005 à 11 h 30, que nous avons pu le réaliser", raconte son frère Ange qui veille sur la salle du Nizza. "N’écrivez pas cette date! rétorque Armand, nous sommes ouverts depuis le 15 mai 2005, mais sous prétexte qu’Ange est né 15 minutes avant moi, il prend toujours un malin plaisir à me contrarier!" ajoute-t-il en rigolant. Quoi qu’il en soit et malgré quelques légers désaccords sur de menus détails chronologiques, c’est avec une parfaite synergie que les jumeaux Forcherio dirigent leur restaurant du centre-ville dont ils ont décidé de la décoration ensemble, superbe avec sa gigantesque baie vitrée, ses lampes en forme de bouquets inversés, ses boiseries et ses murs clairs.
DÉLICES DE LA MER
La cuisine est le royaume d’Armand (même si Ange y met parfois son grain de sel): spacieuse, elle impressionne avec son gigantesque four à bois en briques, vestige laissé par la pizzeria qui occupait autrefois ces lieux. "J’aime m’en servir pour cuire les poissons à la croûte de sel. J’adore cuisiner les poissons: ce sont des produits très fragiles qui demandent une certaine dextérité manuelle et un véritable savoir-faire. C’est une question de sensation, j’ai du mal à laisser mes coéquipiers s’occuper des poissons, c’est un peu ma chasse gardée", raconte le chef. Rascasses farcies à la ratatouille désossées minutieusement et servies entières, avec la tête, beignets de morue, daurade au gros sel cuite au four à bois: Armand Forcherio démontre son amour pour les bestioles vivant sous les océans dans plusieurs recettes sur le site recettesdechefs.ca. "Chez Nizza, les poissons sont toujours annoncés de vive voix car je veux qu’ils soient toujours frais du jour. Je travaille avec plusieurs fournisseurs et je suis vraiment attentif à la qualité du produit, surtout quand il s’agit de poissons importés pour ma bouillabaisse, par exemple. Il faut qu’ils soient impeccables."
Bon appétit!
Nizza
1121, rue Anderson, Montréal
514 861-7076
www.nizza.ca
La semaine prochaine, on se prépare aux grandes chaleurs estivales: le chef Alexandre Loiseau nous régale de soupes froides et bouchées fraîches.
RECETTE /
Voir la vidéo sur recettesdechefs.ca.
Daurades au gros sel cuites au four à bois
Salade de pousse-pierre à l’huile d’olive
Armand Forcherio: "Je prépare ce poisson en croûte de sel dans le four à bois du restaurant, mais vous pouvez aussi le cuire dans votre four habituel à haute température. La pousse-pierre, ou salicorne, est une herbe croquante et salée qu’on récolte sur le littoral ou au bord du fleuve; en saison, on en trouve sur les étals des marchés et des fruiteries spécialisées."
Pour 4 personnes
Temps de préparation: 20 minutes
Temps de cuisson: 35 minutes
Degré de difficulté: facile
INGRÉDIENTS /
4 daurades royales vidées et écaillées par le poissonnier
3 kg de gros sel
2 branches de thym frais
2 dl d’huile d’olive
1 citron
200 g de salicorne ou pousse-pierre
Poivre du moulin
PRÉPARATION /
– Farcir les daurades de branches de thym.
– Dans un grand plat à gratin, verser environ la moitié du sel de Guérande.
– Déposer les daurades farcies de thym frais dans le plat et recouvrir avec le reste du sel. Le poisson doit être complètement couvert.
– Cuire au four à bois pendant 35 minutes. Au four conventionnel: 35 minutes à 400 °F.
– Blanchir la salicorne (l’ébouillanter pendant quelques secondes) et l’arroser d’huile d’olive, du jus du citron pressé et de poivre (cette herbe est déjà très salée).
– Dégager délicatement les poissons du sel qui aura formé une croûte, enlever la peau, les arêtes, lever les filets.
– Servir les filets de poisson avec la salade de pousse-pierre, un demi-citron et un trait d’huile d’olive.