Restos / Bars

François Chartier : Particules alimentaires

Si la tendance se maintient, un Québécois pourrait bien passer à l’histoire pour avoir le premier défriché les avenues des molécules aromatiques et ouvert la voie à une toute nouvelle façon d’agencer les aliments entre eux et avec le vin. Une révolution des papilles signée François Chartier.

Au Québec, on connaît François Chartier. L’oenologue et sommelier de formation pousse depuis 20 ans ses recherches sur les accords mets-vins. Papilles et Molécules, son dernier ouvrage, le 15e à ce jour, ouvre une toute nouvelle voie dans l’univers des harmonies alimentaires.

Voyant que la cuisine du monde était en train d’évoluer rapidement en partie grâce à l’utilisation de la science, Chartier a pris un moment de recul au début des années 2000 pour réfléchir à sa démarche. "Je voulais chercher à comprendre pourquoi certains accords, comme la menthe avec le sauvignon blanc, semblent si naturels, raconte l’auteur. Et si c’était grâce à une structure moléculaire semblable plutôt qu’à un quelconque rapport avec l’acidité ou l’amertume?" Il n’en fallait pas plus pour que l’auteur décide d’en apprendre davangtage sur la structure moléculaire des aliments.

De là est née la prémisse de Papilles et Molécules, premier tome d’une probable longue série concernant la discipline qu’il a nommée "harmonies et sommellerie moléculaires" – car, de son propre aveu, il en a pour au moins 30 ans à explorer le filon qu’il vient de trouver.

HISTOIRES DE FAMILLE

Oui, il est question de science dans cet ouvrage très bien vulgarisé, et non, François Chartier ne s’est pas transformé en scientifique. Il utilise la science pour "ouvrir de nouveaux horizons", affirme-t-il, applicables autant à la maison que par les grands chefs.

La chimie a déjà nommé les différentes molécules aromatiques dont sont composés les aliments. Mais qu’est-ce que ça mange en hiver, ces molécules? Ce sont des composés volatils, des arômes, imperceptibles à l’oeil nu, compris dans les aliments – et les vins – et captés par l’odorat.

Chaque aliment contient des centaines de molécules aromatiques (la menthe en compte 158; un vin, jusqu’à 700). Ces dernières réapparaîtront d’un aliment à l’autre, créant des familles aromatiques. C’est ici que le plaisir commence, car Chartier, qui s’intéresse aux molécules aromatiques dominantes, a pu constater le pouvoir d’attraction entre deux molécules de même famille – un fait reconnu en chimie générale -, une fusion qui vient "magnifier le goût et la saveur" des aliments.

En plus de confirmer la parenté moléculaire entre certains accords existants, les recherches de Chartier dévoilent de nouveaux accords inusités, entre aliments et vins, mais aussi entre les aliments. Et nul besoin d’être chef pour réaliser, à l’aide des graphiques insérés dans l’ouvrage, des accords inédits qui résonneront longtemps dans vos papilles. Des exemples? Le chou-fleur s’accorderait très bien avec la… papaye! Le litchi serait le jumeau identique du gewurztraminer et l’agneau, excellent avec un riesling! Et, parole (ou odorat!) de Chartier, ça marche… "Je suis tous les jours renversé!" lance-t-il en riant. Le climax d’une carrière, vous dites?

RÉVOLUTION CULINAIRE?

Collaborant avec les plus grands de ce monde, que ce soit du côté des scientifiques, des oenologues ou des chefs, l’auteur a pu peaufiner ses recherches depuis les six dernières années. Il a même été invité par Ferran Adrià, le chef du réputé restaurant espagnol elBulli, pour travailler avec lui à l’élaboration de quelques plats de son menu 2009. Parmi ses autres collaborateurs, le docteur en biologie moléculaire Martin Loignon signe un chapitre élogieux dans l’ouvrage, allant même jusqu’à parler de révolution culinaire.

Est-ce le cas? Y aura-t-il un avant et un après-Chartier? Modeste, l’auteur, qui n’avait pas l’intention de révolutionner quoi que ce soit au départ, parle d’un projet qui est "plus grand que lui". "Même les scientifiques que j’ai rencontrés se demandent pourquoi personne n’y avait pensé avant", avoue-t-il.

Oui, pourquoi? Le poids de la tradition empirique? "Peut-être. Mais l’évolution, dans tous les domaines, vient par étapes; on fait un bout de chemin sur les idées reçues, on est confortable, et à un moment donné, on ouvre une autre fenêtre." Et celle ouverte par Chartier est loin de donner sur un mur aveugle…

Papilles et Molécules, tome I
François Chartier
Éd. La Presse