Quand je vous parle d’une expérience en dents de scie, en voilà une. Nous avons passé ici une excellente soirée. L’accueil est vraiment sympathique, Chez Sophie. Mais la cuisine, elle, (ou le cuisinier?) a le hoquet. Du bon, et du moins bon. Comme un disque qui saute.
C’est pourtant un très joli resto. Ceux qui ont connu le précédent bistro, Chez Antoine, se souviendront du charme des lieux, des boiseries, de cette salle confortable. Sophie est énergique, virevolte entre les tables et parle avec passion de son menu, orienté sud-ouest de la France et avec une touche bordelaise. Une carte au style expressément vieillot, à la calligraphie classique. Les titres ne trompent pas: salade landaise, soupe de poisson, magret de canard, lotte à la bordelaise et même un alléchant saumon au sauternes. Un choix délibéré, donc, d’offrir une cuisine régionale. Surtout: un défi pour le chef, car ce genre de spécialités met la barre des attentes assez haut, merci.
AU MENU
Pensez par exemple au foie gras poêlé. Une icône de la cuisine franchouillarde qui s’est répandue dans bon nombre de restaurants de la métropole, surtout depuis qu’on gave le canard en abondance au Québec. Pourtant, il reste un produit de luxe, qu’on facture ici 20 $ l’entrée, et qui mérite soin et précision. Choix intéressant, l’escalope est bien saisie et servie sur des coeurs d’artichauts frais, agrémentée d’une sauce courte, douce et viandeuse. Le problème? Elle est froide. Un gâchis qui nous rappelle une règle essentielle que nous n’avons pas suivie: si cela vous arrive, faites retourner l’assiette. À ce prix, le plat doit être impeccable.
À côté, la brandade de morue: deux mignonnes quenelles qui s’embrassent, mais qui manquent un peu de poisson. Les partisans de la vraie brandade vous diront qu’elle ne contient pas de pommes de terre (juste du cabillaud séché, de l’huile d’olive et, parfois, une touche d’ail), mais ici, c’est plutôt une purée à la morue. Heureusement, bonne surprise, elle n’est pas trop salée. Petit mesclun d’accompagnement tout à fait agréable.
La soupe de poisson est un ravissant potage tomaté très maritime. Pas de gros morceaux dedans, plutôt de la chair déchiquetée et donc impossible à identifier. Il s’accompagne de son incontournable sauce rouille (une mayonnaise safranée), trop peu relevée, dont on beurre quelques croûtons avant de les plonger dans la soupe.
Le confit de canard, maintenant. Bonne nouvelle, il est fait maison. Et c’est en fait un véritable cassoulet, et un excellent cassoulet! Le confit est tendre, peu salé, accompagné de haricots parfois à peine cuits. Les charcuteries sont savoureuses, dont un flanc de porc mémorable.
La lotte à la bordelaise est surprenante. Belle sauce au vin rouge, même si le poisson, lui, est un poil trop cuit. Il faut dire que comme bien d’autres de ses congénères, il est sensible: il ne supporte pas quelques minutes de trop à la chaleur. La chair a du coup un peu moins de tenue. Les poireaux braisés étaient malheureusement filandreux.
Le troisième plat s’est avéré un flop total: l’entrecôte, trop mince, avait l’air d’un banal steak trop cuit. La sauce était inexistante. Le gratin de pommes de terre était beaucoup trop salé. Alors, j’insiste: acheter un plat dans un resto, c’est un peu la même chose que choisir une chemise ou un Ipod: s’il ne fait pas votre affaire, retournez-le.
Du côté des vins? Une carte courte, composée de quelques importations privées (qui manquaient lors de notre passage) et deux seuls choix de vin au verre, un blanc, un rouge. Heureusement puisés dans des bouteilles intéressantes, bien remplis et facturés à prix honnête: 8 $.
DOUCEURS
Ici, notre cuisinier affiche bien du talent. Le cannelé, une spécialité bordelaise, un petit gâteau moelleux parfumé au rhum et à la vanille recouvert d’une croûte caramélisée croustillante, est tout à fait exquis. Le fondant au chocolat est coulant, au cacao de qualité. La crème brûlée, sous sa surface craquante, est soyeuse. Trois fois bravo.
EMBALLANT /
Conclusion? Du positif: un endroit sympathique! La patronne est volubile, l’ambiance, conviviale. Et puisqu’on veut vraiment encourager le cuisinier, sans rancune, nommons-le: il s’appelle David Legault et qu’il le sache, son cassoulet est non seulement délicieux, mais aussi, à 19 $, une véritable aubaine.
DÉCEVANT /
La qualité en dents de scie. Trop de contrastes et un évident manque de rigueur. À 37 $ la table d’hôte, c’est cher pour une cuisine qui ne s’est pas encore trouvée. On me demande souvent des recommandations de restos beaux, bons, pas trop chers. Alors, celui-ci? Si vous êtes dans le coin, pourquoi pas. Mais j’hésiterais encore avant de vous faire déplacer.
COMBIEN? /
À midi, une bonne vingtaine de dollars par personne. Le soir, doublez.
QUAND? /
Du mardi au vendredi de 12 h à 14 h et du mercredi au samedi à partir de 18 h.
OÙ? /
Chez Sophie
5013, rue Wellington, angle 5e Avenue, Verdun. Métro De l’Église.
Réservations: 514 303-6642