Qu’ils soient grecs, turcs, libanais, syriens ou même bulgares, les mezze (ou mezzés, c’est selon) ont un seul et même objectif: faire passer le temps entre la fin de la journée et le repas du soir, qui se prend tard aux pays du Levant. Ces petites bouchées, froides ou chaudes, seraient nées à Zahlé, capitale de la vallée de la Bekaa, au Liban. Les aubergistes du coin les servaient pour accompagner l’arak, cette eau-de-vie anisée issue de la région.
MEZZE TURC
"Pourtant, quand j’étais en Turquie, je pensais que seuls les Turcs mangeaient des mezze!" s’amuse Fisun Ercan, chef-propriétaire du restaurant Su, à Verdun. La chef a consacré des heures de recherches à l’histoire des mezze. "Il doit y avoir 10, 12 plats au minimum et tout doit être prêt quand les invités arrivent, avertit Fisun Ercan. Comme il s’agit d’allonger le temps de l’apéritif, il faut manger lentement de petites portions. Les goûts doivent toujours changer: du poivron rouge épicé sera servi avec du yogourt, par exemple. Il y a toujours trois étapes: le froid, le tiède, composé souvent de pâtes farcies et de rouleaux, et le chaud, le foie de veau, les saucisses… En Turquie, on retrouve 400 hors-d’oeuvre différents pouvant composer un mezze. Au restaurant, j’en propose une vingtaine et j’offre aux clients de les guider dans leur choix." Quand Fisun Ercan parle de mezze, il y a du soleil dans sa voix. "Après le travail, avec des amis, on discute, on prend un verre de raki. Il y a de la musique et, chose très importante, une belle vue."
MEZZE LIBANAIS
Pour Christine Farhoud, chef-propriétaire du restaurant Aux Lilas, à Montréal, le mezze rappelle plutôt les repas en famille, une façon de garder les gens à table le plus longtemps possible. Il peut y avoir une trentaine, et même une quarantaine de plats! Incluant les olives et les noix, certes, mais quand même…
Dans les classiques du mezze libanais, on retrouve le fattouche – une salade de légumes agrémentée de persil et de menthe -, le taboulé, le baba ghanouj, le shish taouk, le hummus, des grillades, des tartares en tout genre, toujours des frites, des fromages comme le chenklich ou le labné, de grands plats de légumes crus, des feuilles de vigne farcies… Les plus aventureux goûteront au sanesil, de la moelle épinière d’agneau, au sawda nayé, du foie d’agneau cru, ou encore à la cervelle au citron de la même bête. "On commence par une dizaine de plats froids, légumes, olives, tartinades, puis viennent les tartares, et enfin on passe au chaud, raconte Christine Farhoud. Il faut mélanger les couleurs, les saveurs, les odeurs, les textures. Les Libanais mélangent tout: le poulet, le poisson, la viande. Au Québec, les gens préfèrent s’en tenir à une variété."
MEZZE GREC
De l’autre côté de la mer Égée, en Grèce, on retrouve aussi des petites bouchées: pistaches, noix salées, olives, keftas à la viande ou aux légumes, taramosalata, petits poissons, poulpe, feta grillé, aubergines en rouleaux, en purée ou au vinaigre. C’est d’ailleurs par les restaurants grecs que les Québécois ont d’abord connu le mezze (ou mezedes au pluriel). L’assiette proposée comprend, en général, du taramosalata, du feta, des olives, des tomates, des concombres, du tzatziki, du hummus, du spanakopita ou encore des dolmas. Mais la pikilia classique froide ne fait qu’entrouvrir la porte au monde des mezedes. "J’ai découvert le principe pendant un voyage en Grèce, raconte Constant Mentzas, copropriétaire avec son frère Nicolas de Tasso, bar à mezze, rue Saint-Denis à Montréal. Les banquets commencent toujours par ça. À Chypre, le mezze fait office de repas, on propose entre 5 et 10 plats pendant l’apéritif; il est fortement influencé par le Liban. En Macédoine, il prend une couleur plus turque, et sur l’île de Zakinthos, il a des inspirations vénitiennes, avec du veau, entre autres." On l’aura compris, le mezze se prépare avec des produits régionaux et de saison. C’est la règle cardinale! "Nous voyons ce qu’il y a au marché et nous nous inspirons des souvenirs de notre enfance", conclut Constant Mentzas.