"Ici, notre nourriture de base, c’est le riz", affirme Randy Thibodeaux tandis qu’il nous emmène visiter la ferme familiale dont près des deux tiers de la superficie cultivée sont constitués de rizières. Nous ne sommes ni en Chine, ni en Thaïlande ou en Indonésie, mais bien dans le Sud des États-Unis, plus exactement à Midland, Louisiane, un petit village agricole situé à une vingtaine de kilomètres de Lafayette. Randy Thibodeaux est issu d’une famille de fermiers cajuns et prononce son nom "Thiboudou". Son père Émery parle un français cassé, entrecoupé de mots anglais qu’il hésite timidement à employer avec des journalistes venus de la grande ville de Montréal. Il n’a pas transmis la langue de ses ancêtres à ses trois fils. Par contre, il leur a transmis la terre et les recettes familiales qui font honneur aux produits du pays cajun: étouffée d’écrevisses (le fameux crawfish de la Louisiane), jambalaya au poulet et à l’andouille (saucisson cajun) qui mijotent tranquillement sur le poêle tandis que nous visitons la ferme. "On ne mange jamais le riz blanc, sauf parfois en salade; le plus souvent, on le sert avec une gravy, et ce que nous préférons, c’est le "gratin" (ndlr: en français dans le texte), les morceaux de riz enrobés de sauce qui collent au fond de la casserole", nous confie le fermier avec gourmandise.
La gastronomie des rizières
Autour de nous, s’étendent des champs de riz à perte de vue. Rien à voir avec les cultures montagneuses d’Asie, la céréale est produite sur des terrains inondés artificiellement par des canaux. Dans ce milieu humide célèbre pour ces bayous, la vie foisonne: oiseaux échassiers, insectes, mais également tortues et batraciens qui font la joie des cuisiniers créoles de La Nouvelle-Orléans. Quand le riz est moissonné, les champs inondés sont remplis d’écrevisses qui se nourrissent des déchets de la récolte. Tout un écosystème gourmand qui finit inévitablement en une délicieuse fricassée! "Ces dernières années ont été difficiles pour les producteurs de riz de la région", raconte néanmoins Randy Thibodeaux. "L’ouragan Ike, en 2008, a déversé des trombes d’eau salée sur les terres cultivables, et aujourd’hui encore, certaines parcelles ne sont toujours pas cultivables", indique-t-il.
La culture du riz a commencé vers les années 1700 en Louisiane, autour du fleuve Mississippi. Dans cette région de bayous humides, les exilés acadiens et les immigrants allemands venus s’installer dans la région semaient le "riz de la Providence" sur des terres impropres à la culture. C’est la céréale qui leur a permis de survivre dans ces milieux hostiles. Plus tard, les propriétaires terriens des plantations de canne à sucre en développèrent la culture pour nourrir leurs esclaves à faible coût.
Le riz de la liberté
"Certains livres d’histoire mal inspirés prétendent que le riz a été importé par les esclaves, des femmes africaines qui auraient dissimulé des grains de riz dans leurs cheveux… une histoire folklorique un peu simpliste, selon moi!" commente la professeure de cuisine Poppy Tooker. Native de La Nouvelle-Orléans et passionnée par la gastronomie de sa ville, cette cuisinière activiste est une référence locale en matière de cuisine créole et cajun. "Il est pourtant vrai que le riz est un lien entre la culture culinaire des Africains et celle des Afro-Américains. C’était la base de l’alimentation des esclaves. Aujourd’hui encore, certaines grands-mères de La Nouvelle-Orléans confectionnent des beignets de riz frits, sucrés à la vanille, qu’on appelle calas, selon une recette partagée par les cuisinières de certains villages du Libéria. Sous le Régime français et selon le Code noir, les esclaves étaient autorisés à se racheter auprès de leurs propriétaires. Le dimanche, jour chômé pour tous, ils vendaient ces beignets pour acheter leur liberté et celle des membres de leur famille", raconte Poppy Tooker qui se passionne pour toutes les histoires qui alimentent les racines créoles de sa chère cité.
"Notre héritage culinaire, c’est notre culture. Et pour ne pas la perdre, il faut inciter les gens à cuisiner", raconte-t-elle tandis qu’elle démontre la recette du gumbo créole. "Lorsque je donne des cours de cuisine dans différentes villes des États-Unis, je rencontre beaucoup de gens qui sont nés à La Nouvelle-Orléans et qui ont dû partir vivre ailleurs après l’ouragan Katrina. Je leur donne alors ma recette de "gumbo de la diaspora", le secret résidant surtout dans le roux créole, réalisé sans beurre et qu’on laisse foncer dans la casserole jusqu’à l’obtention d’une belle couleur chocolat; ajoutez à cela des okras surgelés, la "sainte Trinité" des ingrédients de notre mirepoix créole, piment, céleri et oignon, une bonne saucisse de votre marché local… Servez le tout avec une généreuse portion de riz et vous voilà presque à La Nouvelle-Orléans!"
Cet article a été rédigé à l’issue d’un voyage de presse organisé par la Fédération du riz des États-Unis, USA Rice Federation.
Pour en savoir plus et découvrir de délicieuses recettes à base de riz, rendez-vous sur le site www.inforiz.com.
Le site Web de Poppy Tooker: www.poppytooker.com