"La haute gastronomie, ce n’est pas seulement du homard et du foie gras! Il faut cesser de faire rimer cuisine végétarienne avec régime… Manger des légumes, ce n’est pas une punition!" s’exclame le chef Igor Brotto. Professeur de cuisine à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), il vient de publier, avec son collègue Olivier Guirec, Le Grand Livre de la cuisine végétarienne (Les Éditions de l’Homme). Légumes à la grecque, croûtons aux champignons sauvages, aubergines à la parmigiana, croquettes de potimarron au vieux cheddar, potage froid de tomates jaunes et d’oranges parfumées au basilic thaï, pad thaï… les deux chefs y proposent des recettes classiques des cuisines du monde et des compositions plus originales dans lesquelles on retrouve tout de même des ingrédients tels que les oeufs ou les produits laitiers. "C’est un ouvrage qui parle du plaisir de cuisiner et de manger, pas un recueil de recettes diététiques. Nous l’avons écrit pour ceux qui aiment la bonne chère. Pour un chef, rendre légumes et légumineuses gastronomiquement intéressants et inciter les gens à manger moins de viande, c’est un enjeu écologique et de santé capital aujourd’hui et une avenue à emprunter pour la jeune génération que nous formons…" explique Igor Brotto qui, malgré sa passion pour les légumes, avoue, comme environ 96 % de la population canadienne, ne pas être prêt à renoncer définitivement à ses instincts carnivores.
Pousses gastronomiques
D’ailleurs, à Montréal, à part quelques bistros et cafés spécialisés et les établissements hôteliers ayant intégré depuis longtemps dans leur mandat de satisfaire leur clientèle végétarienne, y a-t-il des restaurants où l’on sert les légumes au centre de l’assiette et non comme simple accompagnement?
"Je suis végétalienne pour des raisons éthiques, mais cela ne m’empêche pas de sortir dans des restaurants de qualité!" affirme Élise Desaulniers. Auteure d’un blogue intitulé Penser avant d’ouvrir la bouche, où elle relate sa vie de végétalienne (elle exclut non seulement viande et poisson de son alimentation, mais aussi les produits issus d’animaux comme le fromage, le lait, les oeufs ou le miel) gourmande, la jeune femme ne correspond pas vraiment au cliché grano: elle a déjà mangé trois fois chez Toqué! et professe son admiration pour la démarche du chef Normand Laprise. "Il choisit ses produits avec un tel soin, traite les aliments, qu’ils soient d’origine végétale ou animale, avec un tel respect que dans son restaurant, je me laisserais presque aller à manger de la viande! Outre chez Toqué!, on peut manger vegan au restaurant Pop! ou à La Montée de lait (anciennement La Montée)… Mes amis et moi avons testé un menu végé au St-Urbain; par contre, il faut prévenir ces restos au moment de la réservation car les plats végés ou vegan ne figurent pas au menu régulier."
Signe des temps qui changent, le bistro La Salle à Manger, avenue du Mont-Royal – dont le chef Samuel Pinard, émule de Martin Picard, ne cache pourtant pas sa passion pour le foie gras et la charcuterie -, propose au quotidien plusieurs assiettes végétariennes, tandis qu’à l’Europea, certains plats à base de légumes, comme l’Étude sur le champignon (ravioles fraîches à la ricotta et shiitakes, écume de porcinis et champignon portobello grillé, jus de truffes blanches), font depuis longtemps partie des classiques de l’établissement. "Parmi les propositions de notre menu découverte, ce plat principal représente de 35 à 40 % des ventes. Certains clients le choisissent parce qu’ils sont végétariens, d’autres préfèrent un plat à base de légumes parce qu’ils font attention à ce qu’ils mangent… mais je suis convaincu que beaucoup le choisissent par simple gourmandise!" commente le chef Jérôme Ferrer qui publie justement dans quelques jours un livre consacré aux légumes aux Éditions La Presse. "Moi, je m’éclate en cuisine avec les légumes! Dans mon livre, je propose des recettes qui sortent de l’ordinaire comme une panacotta de chou-fleur ou un soufflé aux carottes, et je donne des conseils pour cuisiner plus de 80 légumes différents… il y a tellement à découvrir! Il ne faut pas hésiter à en faire tout un plat à accompagner, si on le souhaite, d’un peu de viande ou de poisson…"
À consulter /
Le blogue d’Élise Desaulniers: http://penseravantdouvrirlabouche.com
Pour les adresses des restos cités: www.guiderestos.com
Le Grand Livre de la cuisine végétarienne
d’Igor Brotto et Olivier Guirec
Les Éditions de l’Homme, 2010, 340 p.
Le Secret des légumes
de Jérôme Ferrer
Éditions La Presse, 2010, 136 p.
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Et qu’est-ce qu’on boit?
On ne pouvait pas vous parler de végétarisme gastronomique sans vous parler de bons vins. Pas question de vous proposer une diète au thé vert! "Ce qui me plaît dans la cuisine végétarienne, c’est que c’est une alimentation réfléchie… et si quelqu’un veut faire attention à ce qu’il mange, il fera aussi attention à ce qu’il boit… Pour satisfaire un client végétarien, on peut lui proposer des vins bios ou sans soufre ajouté de qualité. Des vins élaborés par des producteurs qui associent eux aussi dans leur démarche santé et plaisir", indique le Meilleur Sommelier du Québec 2009, Bertrand Eichel. Officiant au très huppé club 357c et collaborateur du Guide Restos Voir, le jeune sommelier s’intéresse beaucoup aux accords vins et légumes. "Il faut cesser de penser aux légumes comme un à-côté, les légumes ont du goût, surtout si on les prépare avec des épices à la manière des cuisines asiatiques, par exemple… Il faut donc des vins de caractère pour réaliser un mariage parfait. Pas question de se cantonner aux vins aux notes végétales, il y a des flacons aux notes animales prononcées évoquant, par exemple, l’élégance et la finesse du cuir qui pourraient faire merveille! Un de mes légumes préférés, c’est le panais, je prépare un velouté que je sers avec de l’huile de vanille et une poêlée de champignons… avec ça, je verrais bien un chablis (chardonnay) riche en bois ou un vin du Sud-Ouest comme celui du Domaine La Hitaire, Les Tours 2009 VDP Côtes de Gascogne, que mon collègue Nick Hamilton vous recommande dans la rubrique vin de cette semaine."