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Sylvain Charlebois : Tête-à-tête avec l'assiette

L’industrie agroalimentaire est un monde complexe que le consommateur aurait intérêt à mieux comprendre, selon Sylvain Charlebois, qui secoue certaines idées préconçues dans son livre Pas dans mon assiette: manger est-il devenu risqué?

"Les consommateurs ont l’industrie agroalimentaire qu’ils méritent et demandent […]: des calories à bon prix et c’est tout." Voilà le constat de départ que fait l’expert en politique agroalimentaire Sylvain Charlebois dans son livre Pas dans mon assiette. Prenant pour angle d’approche les crises alimentaires qui ont secoué le monde occidental (vache folle, listériose), l’auteur passe au collimateur le fonctionnement de l’industrie agroalimentaire et des institutions gouvernementales canadiennes, tout en proposant des solutions pour mieux gérer ces crises "en temps réel", dont l’instauration d’un système continental de traçabilité transversale, qui permettrait de retracer les produits alimentaires, de l’assiette au producteur et vice-versa. Au passage, il examine certaines réalités telles que le bio, les OGM et les inégalités alimentaires entre pays riches et pauvres.

Tout ça parce que, pour Charlebois, le discours ambiant "est souvent polarisé par des groupes d’intérêts qui partagent des messages de peur et diabolisent l’industrie privée". S’il convient que ces intervenants ont leur importance, l’homme, qui se décrit comme un "académique ne représentant aucun groupe d’intérêts", veut offrir un "autre côté de la médaille".

LES OGM, LA SOLUTION?

Parmi les "mythes" dénoncés par l’auteur, celui des aliments bio. Sans les condamner unilatéralement, il déplore le fait que plusieurs en consomment pour les mauvaises raisons. Il insiste sur l’importance de bien comprendre le choix qu’on fait en achetant bio: "C’est un choix environnemental et non nutritif, aucune étude n’a réussi à prouver que le bio est meilleur pour la santé", avance-t-il, ajoutant que "l’agriculture bio est absolument inefficace par rapport à d’autres méthodes, c’est pour ça qu’elle coûte cher!"

Tout le contraire des aliments génétiquement modifiés, que l’auteur suggère d’accueillir à bras ouverts. Ces cultures permettraient d’augmenter la productivité alimentaire, grâce à la création d’espèces plus résistantes aux prédateurs et à la sécheresse, par exemple. L’expert affirme d’ailleurs qu’aucune étude sérieuse n’a réussi à prouver les dangers des OGM pour la santé. Une prise de position qui détonne, mais que l’auteur défend ardemment. Il croit même qu’une partie de la résolution du problème de famine dans le monde passe par là, à condition que l’oligopole que forment Monsanto et d’autres compagnies, qui possèdent les brevets de plusieurs semences transgéniques, accepte de partager son savoir avec les pays moins nantis. Un pari de taille, qui ne se gagnera pas sans le soulèvement des consommateurs, qui détiennent, selon Charlebois, le "vrai pouvoir".

S’inquiétant des inégalités alimentaires à travers le monde, l’auteur pose également la question de l’obsession "à la Walmart" de tout acheter au plus bas prix, qui perpétuerait l’énorme différence de prix des denrées entre pays riches et pauvres. Selon les chiffres qu’il expose, une famille d’un pays défavorisé dépense 70 % de son budget annuel en nourriture, comparativement à 10 % dans les pays industrialisés. Sa solution? Accepter de payer le "prix réel" des aliments, ce qui réduirait les coûts dans les pays pauvres, qui pourraient ainsi investir pour augmenter leur capacité de production. Une projection à long terme un peu "sky blue sky" de son propre aveu, mais qu’on doit considérer. "On doit s’interroger sur le type d’agriculture que nous voulons pour l’avenir, soulève l’auteur. On va être neuf milliards d’habitants d’ici 2050. Un Canadien gaspille 184 kilos de bouffe par année, alors qu’un milliard de personnes souffrent de famine. Tout ça est lié. Le monde alimentaire nous rassemble tous sur la Terre, trois fois par jour!"

Sylvain Charlebois
Pas dans mon assiette: manger est-il devenu risqué?
Éd. Voix parallèles, 2010, 206 p.