Les marchés publics sont à la mode et il en fleurit de nouveaux chaque année aux quatre coins de la ville et dans tout le Québec. Au point même qu’en cette fin du mois d’août, traditionnellement dédiée à la fête des récoltes, on célèbre désormais la Semaine québécoise des marchés publics dans plus de 60 marchés du 21 au 29 août, tandis que les étals se couvrent de piments, tomates, poires, prunes, blé d’Inde, premières courges, ail et aubergines. Et il ne s’agit pas seulement de célébrer l’abondance, mais bien de manifester un engouement certain pour le retour à la terre.
Tandis que la Corporation de gestion des marchés publics de Montréal (regroupant les marchés Jean-Talon, Atwater, Maisonneuve et de Lachine) s’est fixé la mission "d’assurer aux Montréalais et aux Montréalaises un accès aux produits de la terre dans des marchés publics qui correspondent à leur identité", l’Association des marchés publics du Québec définit le marché comme "une extension des activités de production et de transformation à la ferme reconnue comme un service à la communauté" favorisant "les échanges directs entre citoyens". Utopie ou réalité?
Au coeur de la ville, le marché est devenu notre respiration. Un espace où vient le citadin pour se nourrir… mais aussi pour rêver. Emmener un nouvel arrivant ou un touriste au marché Jean-Talon, c’est sans doute le moyen le plus sûr de lui donner la piqûre de Montréal et de le faire irrémédiablement tomber en amour avec les produits d’ici. "Il n’en a pas toujours été ainsi", rappelle l’historienne Hélène-Andrée Bizier. "Dans les années 1980, seule une poignée d’irréductibles fréquentait encore les marchés publics. Il s’en est fallu de peu que les marchés Jean-Talon, Atwater ou Maisonneuve ne disparaissent à jamais", raconte-t-elle. "Pendant près de 40 ans, les Québécois ont confié leur alimentation aux grandes surfaces et, selon moi, deux générations ont ainsi perdu le goût du vrai, laissant notre agriculture locale devenir exsangue. Aujourd’hui, c’est comme si on entamait un nouveau cycle: on aimerait voir l’agriculture revenir en ville, élever des poules et des abeilles, jardiner sur les toits… L’engouement pour les marchés fait partie de ce mouvement. Ce qui est remarquable, c’est que les grandes surfaces sont obligées d’emboîter le pas et d’offrir elles aussi des aliments frais de proximité à leurs clients", analyse Hélène-Andrée Bizier.
Unir le monde
Passionnée depuis toujours par la nourriture et ses enjeux, Sophie Daubisse est à l’origine de la création de l’Autre Marché Angus, lancé le 21 août dernier et qui prend place jusqu’au 24 septembre, tous les vendredis de 15 h à 20 h, sur le site du Technopôle Angus. "Les marchés publics sont des lieux formidables pour sensibiliser les gens aux enjeux de notre époque: l’achat local, l’environnement, le recyclage… mais tout ça se fait sans prosélytisme, de manière ludique, informelle, tout simplement parce que faire son épicerie est un enjeu qui va au-delà de la simple notion de manger", explique la jeune femme qui n’en est pas à son premier marché puisqu’elle pilote également les projets de l’Autre Marché de Rosemère, Mascouche et Châteauguay-Saint-Constant. "On ne devient pas promoteur de marché pour gagner de l’argent, même si en ce moment tout le monde semble vouloir son petit marché public, ce n’est pas vraiment une activité rentable. Il faut aller chercher les producteurs locaux, les convaincre de quitter leur exploitation pour aller à la rencontre d’une nouvelle clientèle. Cela prend aussi des subventions, des commandites et beaucoup d’organisation sur place pour que tout se passe bien. Il y a des ententes à signer avec le MAPAQ, il faut rassurer les commerçants qui tiennent boutique aux alentours et les convaincre que ce projet sera aussi bénéfique pour leurs affaires… c’est un job à plein temps!" témoigne-t-elle. "Les rencontres faites dans les marchés sont ma récompense. Le côté le plus beau et le plus précieux de mon travail, c’est quand j’entends les gens dire qu’ils viennent au marché pour se retrouver, comme si le marché devenait le lien intime entre la maison et l’espace public, le coeur de la vie du quartier. Les producteurs échangent leurs produits et parfois ils s’associent même pour créer de délicieuses combinaisons… et puis je ne me lasse pas de les écouter parler de la terre et de tout ce qu’on a perdu en vivant en ville…"
Carnet d’adresses /
L’Autre Marché: www.lautremarche.org
Corporation de gestion des marchés publics de Montréal: www.marchespublics-mtl.com
Semaine québécoise des marchés publics: liste des participants et activités au www.ampq.ca
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Nourrir le monde
Depuis 2005, le comité Nourrir Montréal de la Conférence régionale des élus de Montréal (CRÉ) a fait des marchés publics un outil de sensibilisation pour promouvoir la santé, l’achat local, l’écologie et la vie de quartier, et pour lutter contre les inégalités dans une perspective de sécurité alimentaire. "Ce projet pilote s’est appuyé sur des réseaux de citoyens existants pour trouver des solutions adaptées à chaque réalité urbaine. Les populations qui fréquentent le Marché bio d’Outremont, le Marché fermier du Plateau ou le Marché Solidaire Frontenac ont des besoins différents", raconte Josée Belleau, agente de développement du comité Nourrir Montréal de la CRÉ, qui a suivi le dossier. "Par exemple, dans le secteur Guybourg de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, très dépourvu de commerces de proximité, c’est un agriculteur à la retraite qui gère le kiosque du marché Les jardins Guybourg et s’occupe de son approvisionnement " indique-t-elle. Les producteurs qui viennent en ville doivent y trouver leur compte et pouvoir vendre leurs produits au juste prix… Pour cela, il faut que l’achalandage dans les marchés rende leurs déplacements suffisamment rentables. " Dans certains quartiers, les promoteurs ont jugé préférable d’acheter les produits frais en gros aux producteurs puis de les revendre eux-mêmes. Ce n’est pas de l’achat direct, mais les résidents de ces quartiers défavorisés ou enclavés ont ainsi accès à des produits frais de qualité", raconte la fonctionnaire. "On a d’ailleurs remarqué que même dans les secteurs où la population est plus pauvre, les gens ne recherchent pas forcément le plus bas prix. Ils sont contents de payer le juste prix pour de meilleurs aliments", constate-t-elle.
La ville de Montréal compte 31 marchés de quartiers, pour les découvrir: www.marches-de-quartiers.ca