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Foie gras : La souveraineté du foie gras

N’en déplaise à Pamela Anderson, les efforts conjugués de Martin Picard qui en a mis dans sa poutine et de producteurs passionnés ont imposé le foie gras parmi les produits du terroir québécois.

Il y a déjà un peu plus de 20 ans que le foie gras a obtenu sa citoyenneté québécoise symbolique. Le produit emblématique de la France était auparavant difficile à obtenir par ici sous une autre déclinaison que la conserve. Mais depuis deux décennies, une dizaine de producteurs de foie gras se sont approprié l’idée des Français, qui l’avaient eux-mêmes piquée aux Égyptiens. C’est en effet bien avant Jésus-Christ que l’on a remarqué que le foie des oiseaux migrateurs doublait de proportion avant les longs voyages et qu’il était délicieux à consommer. Le gavage a ainsi fait son apparition. Depuis, il a bien fallu adapter la méthode. En moyenne, la période de gavage d’un canard dure deux semaines, à raison de deux repas par jour de cinq secondes chacun, versés directement dans l’oesophage de l’animal. Certains, comme le producteur Palmex à Marieville, ont choisi d’en faire l’élevage à l’intérieur pour assurer une production à l’année. "Je suis le fournisseur des restaurants Au Pied de cochon, Joe Beef, Kitchen Galerie et Toqué!, pour ne nommer que ceux-là, je dois donc être très productif", explique Benoit Cuchet, président de Palmex. Résultat: il élève 200 000 canards par année. On peut y voir la confirmation d’un réel engouement des Québécois pour ce produit: "J’ai vraiment remarqué une évolution au niveau des commandes des restaurateurs dans les dix dernières années. La gastronomie montréalaise est de plus en plus raffinée." L’apport du chef Martin Picard, passionné par ce produit, est indéniable et a grandement favorisé la popularité du foie gras, selon Benoit Cuchet.

Le goût d’ici

Cette démocratisation du foie gras plaît également aux producteurs Yvanne Maurel et Martin Coulombe à Saint-Jean-de-Matha. Mais dans leur cas, impossible de penser fournir un aussi grand consommateur que le restaurant Au Pied de cochon. Leur élevage est artisanal dans la pure tradition du Sud de la France, région d’origine d’Yvanne. "Là d’où je viens, on gave les oiseaux à la main et ils sont élevés à l’extérieur. Il est impensable de manger du foie gras industriel! Ça se compare à la relation sirop d’érable versus sirop de poteau au Québec", simplifie la copropriétaire des Canards Maurel-Coulombe. Le couple franco-québécois affirme que le palais des Québécois est maintenant assez fin pour apprécier la différence au goût d’un foie gras d’élevage artisanal. Ils offrent même des visites guidées de leur ferme pour que les épicuriens comprennent l’origine du produit qu’ils mangent. "On sent que ça fait maintenant partie des moeurs des Québécois. Alors, quand on voit une voiture avec une plaque d’immatriculation de l’Ontario débarquer dans le rang, on sait qu’il faudra tout expliquer du début", rigole Martin Coulombe. Ils ont aussi remarqué que de plus en plus de gourmands préfèrent mettre eux-mêmes la main au fourneau et apprennent à cuisiner le foie gras à la maison.

Viande heureuse?

Les amoureux du foie gras sont donc peut-être plus nombreux que ses détracteurs, mais ils ne sont pas toujours aussi bruyants. La lutte est chaude à ce chapitre. Certes, la consommation de foie gras est tout à fait légale au Québec, contrairement à certains pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas. C’est la question morale qui est le plus souvent évoquée ici. Cet été, la plus sexy des végétariennes, Pamela Anderson, était de passage à Montréal pour animer un Gala Juste pour rire. Quelle a été la première affirmation lors de sa conférence de presse? Dénoncer la présence de foie gras sur le menu du restaurant qui l’accueillait. Vérification faite, le Globe, sur le boulevard Saint-Laurent, n’a toutefois pas cédé aux pressions de l’ambassadrice de PETA et sert encore sa soupe de foie gras. En fait, les protestations les plus vives au Québec se sont fait sentir en juillet 2007 après l’intrusion d’une caméra cachée dénonçant le mauvais traitement des oiseaux à la ferme Périgord. Une histoire qui a laissé un goût amer à tous les producteurs de canard, gras ou non. Par exemple, l’entreprise Canards du Lac Brome est également propriétaire de la ferme de production de foie gras Les Champs d’Élisé, mais ne s’affiche pas ainsi pour ne pas être associée à la méthode du gavage: "On sait évidemment que toute la production des Champs d’Élisé respecte les normes, mais on tient à distinguer les deux entreprises auprès des consommateurs. Les canards de Pékin qu’on utilise aux Canards du Lac Brome ne sont pas issus d’une espèce migratrice, donc impossible de les gaver", précise Brigitte Saint-Julien, qui continue de faire de l’éducation auprès des nombreux clients qui se rendent à leurs boutiques. À l’opposé, les Canards Maurel-Coulombe ont plutôt profité de cette crise médiatique puisque de nombreux consommateurs avertis se sont tournés vers eux: "C’est ce que j’appelle une agriculture raisonnée: les gens veulent simplement savoir d’où proviennent leurs aliments", explique Martin Coulombe, qui aime bien l’expression "viande heureuse" pour décrire l’élevage des animaux dans des conditions saines.

Carnet d’adresses /

Palmex: 1661, rue Marcoux, Marieville, www.palmex.ca

Canards Maurel-Coulombe: 1061, rang Sacré-Coeur, Saint-Jean-de-Matha, www.domainemaurelcoulombe.com

Boutique aux Champs d’Élisé: 114, chemin du Vide, Marieville, www.auxchampsdelise.com

Le Canard libéré, espace gourmand : 4396, boulevard Saint-Laurent, Montréal, 514 286-1286, www.canardsdulacbrome.com

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Profession de foie /

Anne Desjardins, Hôtel Spa Restaurant L’Eau à la bouche
Quand elle participait à des stages culinaires en France au début des années 80, la chef Anne Desjardins était fascinée par la technique du foie gras poêlé, sans toutefois croire qu’elle pourrait un jour la mettre en pratique au Québec. C’est en 1987 qu’elle a mis la main sur du foie gras frais pour la première fois grâce à un producteur de Saint-Alphonse-Rodriguez. Ce fut un coup de coeur instantané pour ses clients. Depuis, le foie gras figure toujours sur les menus qu’elle élabore au restaurant L’Eau à la bouche. Son secret? La constance de la qualité du produit et le mélange des saveurs. Ces jours-ci, elle apprête le foie gras poêlé avec une moutarde aigre-douce, du cidre de glace et un peu d’olives, des saveurs presque à l’opposé qui offrent un accord parfait!

L’Eau à la bouche, 3003, boulevard Sainte-Adèle, route 117, Sainte-Adèle, www.leaualabouche.com