On oublie souvent le plaisir malicieux qu’on avait à manger, enfant. Cette extase ludique qui ne se soucie guère des convenances, de l’étiquette et des étoiles Michelin. Pourtant, nos souvenirs débordent de ces montages magnifiquement naïfs que notre mère nous laissait bricoler avec des sachets de ketchup et un restant de frites…
La créativité est l’apanage de l’enfance. Comment oublier que le bonheur de manger passe d’abord par les yeux? Qu’il suffit, parfois, de ne pas se prendre au sérieux?
D’ailleurs, la bonhomie de notre serveur est si contagieuse qu’il m’est impossible d’écarter l’effusion de rires qui ponctue l’exploration du menu. Nous commençons à jouer, tandis que notre regard quadrille les entrées: fricassée de ris de veau, rillettes de poisson, soupe aux pois déstructurée et servie en trois verrines. Dans la première, pois cuits et carottes; une autre de céleri et d’oignons confits; et dans la troisième, le jus de cuisson des pois travaillé en mousse légère (espuma) qui se la "pète" aux côtés d’une tranche de bacon. La demoiselle et moi laissons s’échapper tout de suite des "hon, c’est ben l’fun" à la figure de notre serveur ravi.
Je n’arrive pas à choisir. Je croise mes bras et pince mes lèvres à la façon d’un polisson qui veut aller aux toilettes. Et puis c’est le veau confit, pressé à la façon d’une terrine, qui finit par conquérir mon coeur (que dis-je, mon ventre!) aux dépens de la soupe déconstruite. Julie, elle, n’a d’yeux que pour le foie gras au torchon. Elle le mariera au minéral sec et convenu d’un Picpoul de Pinet, alors que j’élancerai mes lèvres vers la graisse fruitée d’un pinot gris argentin.
Surpris d’abord par la frugalité des portions cernées du blanc des assiettes, nous n’en admirons pas moins la créativité de la présentation. L’amertume du foie s’entend bien avec le confit de pommes vanille-érable et son pain brioché. Mon veau puis notre potage, quant à eux, iront en retenue pour manque de concentration et de saveurs.
La cloche sonne, c’est la période du rouge. Un syrah Terre Rouge boisé à la californienne pour moi; cabernet sauvignon espagnol pour elle. Il lui sera utile: son osso buco de cerf braisé à la bière noire aura besoin d’un copain vigoureux. Un peu sec et trop cuit, je dois l’avouer. Ce qui ne nous a pas empêchés de tricher en suçotant la moelle, des os plein les doigts. Mon ragoût de joues de porcelets me sourit dans son assiette. Il glisse sous la dent tellement il est tendre; on en vient à confondre sa texture avec celle de ses petits oignons de classe.
Pendant que notre cerveau arpente les prémices du dessert à venir, nous balayons l’ancien local du Paris Brest, tout en bois et en miroirs. Trop beau, trop raffiné. Un contraste frappant avec le menu d’écolier, la bouffe sans prétention et l’étui à crayon dans lequel nous sera glissée la facture.
Le moelleux au chocolat s’amène la binette. Je coule dans une félicité que seul le sucre peut m’apporter, obèse des attentions d’un personnel plus que passionné.
EMBALLANT /
Le service amical et engagé, la cuisine goûteuse et l’inventivité pleine d’enfance des plats.
DÉCEVANT /
Le concept "récré" qui perd de sa fraîcheur en n’étant pas totalement assumé. Le prix des repas, qui ne colle pas à l’esprit de bistro et à la timidité des portions.
COMBIEN? /
Pour deux, environ 95 $ le soir (table d’hôte incluant entrée, potage, plat principal et dessert du moment) et 35 $ le midi (excluant boissons, taxes et service).
QUAND? /
De 11h30 à 23h. Fermé le samedi midi, le dimanche et le lundi (sauf sur réservation de groupe).
OÙ? /
La Récré
590, Grande Allée Est
418 977-6656
www.larecre.ca